La Conscience Intuitive
Ajahn Sumedho


La présence consciente est ton refuge :
conscience du changement des ressentis,
des attitudes, des humeurs, des situations
et du changement émotionnel.
Reste près de cela – c’est un refuge
indestructible.
Ce n’est pas quelque chose qui change.
C’est un refuge en lequel tu peux avoir confiance.
Ce refuge n’est pas quelque chose que tu crées.
Ce n’est pas une fabrication ; ce n’est pas un idéal.
Il est très concret et très simple
mais on peut passer à côté sans le voir.
Quand tu es attentif,
tu commences à voir que
c’est ainsi.


Table des matières


Préface De L’éditeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1. La Conscience Intuitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2. Identité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42
3. Quand On Est Une Épave Émotionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4. La Souffrance Devrait Être Accueillie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5. Le Son Du Silence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
6. La Fin de la Souffrance, C’est Maintenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
7. Ne Le Prenez Pas Personnellement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
8. La Conscience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133
9. Confiance Dans La Simplicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
10. Observer L’attachement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .160
11. Ne Pas Attendre De Réponse, Ne Pas Demander De Faveurs. . . . . .166
Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .173
Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

 


PRÉFACE DE L’ÉDITEUR


Ce livre est un recueil d’enseignements donnés par Ajahn Sumedho
lors de différentes retraites (plus particulièrement en 2001) dont
les principaux participants étaient des moines et des nonnes. Ces
exposés témoignent d’une conscience intuitive de l’enseignement
du Bouddha, fruit de plus de trente-cinq années de pratique en
tant que moine bouddhiste.
L’approche préconisée par Ajahn Sumedho consiste à commencer
par s’accepter soi-même tel que l’on est et non tel que l’on pense
devoir être par rapport à un idéal. Ce faisant, une détente se produit
et un espace s’ouvre, permettant l’apparition de révélations
profondes. Pour certaines personnes, cet espace naît du son du
silence ou simplement d’un esprit calme ou vacant. Quelle que soit
la façon dont il se manifeste, il révèle l’inconditionné, c’est-à-dire
ce qui est au-delà du corps et des objets de l’esprit.
Fondamentalement, il s’agit d’avoir confiance, d’accepter ce que
la vie nous apporte comme « ce qui est » ou, selon une expression
chère à Ajahn Sumedho, d’« accueillir la souffrance ». Il s’agit
d’écouter, d’être réceptif à tout, d’inclure tout ce qui est.
On peut avoir l’impression que certaines remarques, dans ce
livre, sont contradictoires ; il est dit, par exemple, que « la
souffrance devrait être comprise » et ailleurs on trouve une mise
en garde contre le mot « devrait ». Mais, au-delà des apparentes
contradictions, nous ne manquerons pas de distinguer le thème
fondamental et récurrent de ces enseignements, thème dans
lequel nous pouvons mettre toute notre confiance : l’importance
de l’attention.
Ainsi, nous ne cherchons refuge ni auprès d’un enseignant ni dans
les Écritures mais dans la pureté même de notre coeur. C’est un
espace qui ne change jamais, qui n’a ni jugement ni opinion, qui
est inébranlable et pourtant pleinement vivant, sensible, spontané
et aimant – pleinement ici et maintenant.
Ce livre a été transcrit, préparé et conçu par différents membres
du Sangha monastique et laïc. L’éditeur souhaite les remercier
chaleureusement pour les longues heures qu’ils ont investies
dans ce travail. Les discours ont été travaillés pour des raisons de
clarté mais ils restent aussi proches que possible de la manière de
parler d’Ajahn Sumedho. Toute erreur serait de la responsabilité
de l’éditeur.
Ce livre est une offrande, un partage de la part de tous ceux qui
ont pu bénéficier des enseignements d’Ajahn Sumedho, de sa
grande dévotion pour le Dhamma et de ses encouragements.
Puisse le mérite qui pourra en découler être dédié au bonheur de
tous les êtres.
10


Introduction


Il y a vingt ans, en 1984, la communauté monastique initiale du
Centre bouddhiste d’Amarâvatî, s’installa dans un ensemble de
bâtiments-caserne sur le haut d’une colline balayée par le vent,
dans le Hertfordshire. Le nom du nouveau monastère qui signifie
« Le Royaume de l’Immortalité» fut choisi à la fois pour faire écho à
l’ancienne Cité Bouddhiste dans l’Andhra Pradesh au sud de l’Inde
et aussi pour contrer la force destructrice de la course aux armes
nucléaires, assurée délibérément par Ronald Reagan, Margaret
Thatcher et l’Union soviétique.
À cette époque, nous utilisions comme salle de méditation le
gymnase et salle de réunion de l’ancienne école. Les fenêtres étaient
fissurées, réparées avec du plastique et du ruban adhésif, ouvertes
à tous les courants d’air et des marquages sportifs quadrillaient le
plancher glacial; une grande statue dorée du Bouddha était posée
dorée sur l’ancienne estrade de l’école, éclairée par des spots et
entourée de rideaux bleus vaporeux que nous avions accrochés
pour tenter d’embellir l’autel et de suggérer l’infinité de l’espace.
Depuis 1981, quand la communauté résidait principalement au
monastère de Cittaviveka à Chithurst, dans le West Sussex, il était
de coutume après le Nouvel An, de réserver quelques mois d’hiver
pour effectuer une retraite communautaire. A cette période de
l’année, le climat en Angleterre ne nous permet pas de faire grand-
chose en termes de travaux de construction. Les visiteurs sont peu
nombreux et les journées courtes et sombres. La situation est donc
parfaite pour diriger notre attention vers l’intérieur et prendre le
temps de cultiver de manière très approfondie la pratique formelle
de la méditation.
Le monastère d’Amaravati fut créé dans le but de pourvoir la
communauté monastique florissante d’un lieu d’habitation (les
photos de groupe de l’époque montrent plus de 20 postulants aux
8 préceptes et 40 nonnes et moines), et d’ouvrir un lieu de retraites
pour les laïques. Ces changements offrirent un environnement
encore plus spacieux pour nos retraites d’hiver et permirent à
Ajahn Sumedho de continuer à guider la communauté dans son
style unique, vaste et inspirant.
Les hivers de 1984, 1985 et 1986 furent particulièrement glacials;
Les vents hurlants de Sibérie ne semblaient rencontrer aucune
entrave sur leur passage et nous sentions leur morsure jusque
dans nos chairs. Il n’était pas rare de porter dans la journée six ou
sept couches de vêtements et la nuit, de nous glisser dans nos sacs
de couchage, en gardant presque toutes ces épaisseurs. Pendant
la méditation et l’écoute des enseignements, nous étions assis
tout emmitouflés dans des robes et de chaudes couvertures. L’air
était glacial mais l’atmosphère était vibrante d’énergie car nous
partagions un esprit de groupe puissant et omniprésent.
À cette époque, et particulièrement durant les retraites d’hiver, il
semblait que la principale source d’énergie de tout ce système, et
certainement ce qui réchauffait et guidait nos cœurs, provenait de
cette capacité illimitée d’Ajahn Sumedho à enseigner le Dhamma.
Assez naturellement dans une telle situation, de nombreux
conseils étaient nécessaires, car la majorité d’entre nous étaient
relativement nouveaux à la pratique de la méditation et à
l’entraînement monastique. Nous avions besoin d’un grand
soutien d’autant plus que nous pratiquions toute la journée en
silence la méditation en marche et assise. C’est pourquoi Ajahn
Sumedho nous donnait des instructions approfondies, deux voire
trois fois par jour : le matin avant l’aube, à la première session
de la journée, nous avions des réflexions sur le Dhamma; puis
d’autres enseignements juste après le petit déjeuner de gruau
d’avoine; l’après-midi à l’heure du thé, il y avait parfois des
sessions de «questions & réponses» ; pour finir, le soir nous avions
un enseignement formel.
Depuis cette époque glaciale jusqu’à aujourd’hui, en 2004, Ajahn
Sumedho a continué à guider de la sorte notre communauté
monastique. Chaque hiver, il a exploré et exposé le Dhamma. Le
livre que vous tenez entre vos mains est un petit échantillon des
enseignements qu’il nous offrit et qui avaient été enregistrés au
cours de la retraite d’hiver de 2001.
Même si à certains égards ces jours semblent lointains et que
beaucoup de choses ont changé, certains éléments perdurent,
telle une phrase ritournelle ou un rythme d’une pièce musicale qui
revient sans cesse, ou plus exactement, comme le style particulier
d’un grand peintre qui vous fait dire instantanément que ceci est
un Monet, cela est un Van Gogh.
Aujourd’hui, le site de l’ancienne salle de méditation/gymnase
est occupé par le Temple (notre nouvelle salle de méditation),
construit en plusieurs étapes, dans les années 90. L’orientation
est légèrement différente - le bâtiment fait maintenant face à
l’est plutôt qu’au nord. Il a la forme d’une structure pyramidale
s’élevant dans l’espace et non plus celle d’une boîte rectangulaire.
À l’intérieur, le vaste espace ouvert et lumineux est ponctué
d’un large cercle de piliers en chêne massif; le silence et la paix
qui y règnent sont tels que l’esprit de ceux qui le visitent semble
s’apaiser instantanément; le sol est recouvert de dalles blanches,
et chaudes en hiver. Des poutres et des traverses s’entrelacent
sur le haut plafond et les murs, un peu comme dans une grange.
Cependant, les arbres de la cour sont toujours les mêmes, juste un
peu plus grands et plus fournis. Les matins d’hiver, les boiseries
des anciens bâtiments brunies par le temps, sont toujours ourlées
de givre, tout comme elles l’étaient autrefois.
Les enseignements des retraites d’hiver qu’Ajahn Sumedho a
donnés au cours de ces dernières années ont eux aussi évolué et
se sont transformés. Ils sont toujours basés sur plusieurs éléments
classiques tels que les Quatre Nobles Vérités, les réflexions sur
l’apparition et la cessation des Cinq khandhas, l’enseignement sur
la contemplation de l’esprit (cittànupassanà). Mais au cours de ces
vingt dernières années, sa façon de dispenser les enseignements
a évolué et s’est élargie, tout comme les moyens habiles (Upaya)
qu’il a développés.
Même si les enseignements recueillis dans ce livre peuvent, à
certains égards, se lire indépendamment les uns des autres, il
est toutefois utile de garder à l’esprit qu’ils existent au sein d’un
contexte particulier.
Tout d’abord, ils ont été donnés à des moines et des nonnes
expérimentés ainsi qu’à quelques laïques très chevronnés.
Nombreux parmi ceux qui les écoutaient connaissaient très bien
les thèmes favoris d’Ajahn Sumedho, et il le savait. Par conséquent,
beaucoup de notions qu’il aborde sont supposées connues et ne
sont pas expliquées dans les détails. Comme si un musicien jouait
les premières notes d’un morceau familier et se disait : les auditeurs
savent la suite, ils ont reconnu ce bon vieux thème ! Ou comme un
peintre utiliserait un symbole connu et penserait : avec ce fameux
chapeau-melon le public fera le lien avec Magritte. Ajahn Sumedho
improvise sur des thèmes familiers qu’il explore et décrit de telle
sorte que le lecteur peut parfois ressentir que le sens lui échappe ;
il est alors encouragé à laisser la musique l’emporter, et à se fier à
l’équilibre des tons et des couleurs.
Ensuite, les rédacteurs de ce recueil ont explicitement tenu à
garder le style et l’esprit du langage parlé. Les enseignements du
Dhamma ont un forte composante non-verbale, tels l’ambiance
dans la salle, les échanges d’énergie entre l’orateur et les auditeurs,
la saison, l’heure du jour ou de la nuit, ce qui au sein du groupe
s’est passé avant l’enseignement... Il est donc plus sage d’aborder
cet ensemble d’entretiens non pas comme l’exposé d’un sujet
donné, mais plutôt comme l’exploration d’une galerie d’art ou
l’écoute d’un morceau de musique. Comme Ajahn Sumedho l’a dit
lui-même, ce livre suggère des moyens habiles pour investiguer
l’expérience consciente. Il n’est pas un traité didactique sur le
Bouddhisme Pali.
En parcourant ces pages vous rencontrez différentes notions
comme : ‘la Conscience Intuitive’, ’la Fin de la Souffrance est ici
et Maintenant’, ‘Le Son du Silence’, et d’autres encore. Il s’agit
de laisser le cœur les recevoir et de permettre aux intuitions de
résonner et de mûrir naturellement ; tout comme lorsque nous
progressons dans une galerie d’art, Il ne nous viendrait pas à l’idée
de penser: “Quelle est l’information exacte que cette peinture
me communique ?”
Lorsqu’ils enseignaient le Dhamma, les disciples du Bouddha
déployaient un large éventail de styles d’enseignement. Ils ont
aussi privilégié des thèmes particuliers. Cette diversité de styles
est une caractéristique frappante de ce qui est connue aujourd’hui
sous le nom de la « Tradition Thaï de la Forêt ». Cette Tradition est
représentative des communautés monastiques rurales. Elles sont
en grande partie non-académiques, centrées sur la méditation et
modelées sur la discipline telle que vécue par le Bouddha et ses
premiers disciples monastiques.
Au fil du temps, un enseignant aura tendance à choisir un thème
spécifique du Dhamma ou une technique de méditation particulière
et à passer des années, parfois des décennies à les explorer et à
les développer. Par exemple, Luang Por Sim était connu pour son
intérêt sur les contemplations de la mort; Ajahn Buddhadasa a
passé plusieurs années à discourir sur l’idapaccayatà - la loi de la
co-production conditionnelle; Ajahn Toon Khippapanno insistait
vigoureusement pour que la Voie soit représentée comme Panna,
Sila, Samadhi, et non pas comme Sila, Samadhi, Panna; Ajahn Fun
était connu pour ses extrapolations infinies sur le mot «Bouddho »
en tant que technique de concentration, d’étude de la conscience
ou encore comme pratique de dévotion; Luang Pu Dun était connu
pour enseigner que « Citta (le cœur) est Bouddha» et Ajahn Chah
aimait poser des énigmes aux gens, telles que : « Si vous ne pouvez
pas aller en avant, et que vous ne pouvez pas aller en arrière, ni
rester sur place, où pouvez-vous aller? » ; ou alors, « Avez-vous
déjà vu de l’eau immobile en mouvement? »
Au cours des années, il est tout à fait normal pour ces enseignants
expérimentés de développer non seulement leurs thèmes de
prédilection mais aussi de cultiver leur propre usage, souvent
idiosyncrasique des termes canoniques. Par exemple, l’utilisation
par Ajahn Maha-Boowa du terme « citta éternelle » ; ou bien
l’insistance de Ajahn Toon sur la différence radicale entre
dassananana et nànadassana que l’on pourrait traduire comme
«la vision et la connaissance » et « la connaissance et la vision » ;
ou le mot « sikkhibhuto » qu’Ajahn Chah employait comme «un
témoin de vérité» et pour lequel les chercheurs sur la langue Pali
continuent encore à se demander d’où exactement est venu ce
terme. Dans cette optique, il pourrait être utile de jeter un coup
d’œil sur quelques-uns des termes qu’Ajahn Sumedho utilise
fréquemment dans ce recueil, notamment « le son du silence »,
« la conscience intuitive » qui, au cours des années, ont aussi
pris des sens distincts. « Le son du silence », est décrit en détail
dans le discours qui porte le même nom. Toutefois, ce n’est pas
une méthode de méditation que l’on trouve dans les manuels
Theravada classiques. Il serait donc utile de fournir le contexte
dans lequel Ajahn Sumedho l’a développé et a découvert comment
d’autres traditions spirituelles l’utilisent dans leurs pratiques.
C’est pendant la retraite d’hiver de Janvier 1981, au monastère de
Chithurst, qu’Ajahn Sumedho se mit à enseigner cette méthode
à la communauté monastique. Il avait commencé à remarquer
ce son aigu en quittant la Thaïlande en 1977, lors de son premier
hiver en Angleterre dans le Vihara Bouddhiste de Hampstead. Il
souligna que la Thaïlande étant un pays bruyant, en particulier la
nuit quand on pratique au milieu des grillons et des cigales dans la
forêt, il n’avait pas remarqué ce son intérieur. Mais lorsqu’il vint à
Londres, bien que ce soit une grande métropole, il découvrit que la
ville devenait très calme tard dans la nuit, particulièrement quand
l’air était étouffé par la présence d’une couche de neige.
Dans le silence de ces nuits, il commença à percevoir ce son
intérieur, toujours présent, apparemment sans commencement
ni fin. Il découvrit rapidement qu’il était capable de le discerner
tout au long de la journée, que les circonstances soient calmes ou
agitées. Il se rendit compte également qu’il l’avait déjà remarqué
au cours de sa vie, durant un congé de la Marine Américaine du US
Navy, dans les années 50, lors d’une promenade dans des collines.
Son esprit s’ouvrit alors à un état d’extrême clarté et il s’en souvint
ensuite comme d’un état merveilleusement pur et paisible.

Ces associations positives l’encouragèrent à approfondir cette
expérience pour savoir s’il pourrait en faire un objet de méditation.
Dans ce monde où les sens sont conditionnés, le son du silence
lui sembla symboliser les qualités de l’esprit qui transcendent
le royaume des sens. Dans ce royaume, le son du silence comme
l’esprit est non-soumis à la volonté personnelle, toujours présent
et audible, sans commencement ni fin, sans forme et non localisé
dans l’espace.
Cet hiver-là, il l’enseigna pour la première fois à la Sangha de
Chithurst et le mentionna sous le nom de ‘son du silence’. Depuis,
le nom est resté. Plus tard il se mit à enseigner cette méthode dans
les retraites de la communauté laïque et c’est alors qu’il entendit
parler de l’utilisation de ce son par des gens expérimentés dans
la pratique de la méditation des traditions hindous et sikhs. Il
découvrit que cette forme de concentration sur le son intérieur
était connue dans ces traditions comme le «nada yoga » ou « le
yoga de la lumière et du son intérieur’. Il s’avéra également que
des livres avaient été écrits sur le sujet ainsi que des commentaires
en anglais et d’anciens ouvrages, notamment The Way of Inner
Vigilance par Salim Michael (publié par Signet). En 1991, quand
il enseigna cette méthode lors d’une retraite dans un monastère
chinois aux Etats-Unis, l’un des participants lui fit remarquer:
« Je pense que vous êtes tombé (par hasard) sur le Samadhi
Shurangama; c’est une méditation sur l’audition qui est décrite
dans ce Souta et la pratique que vous avez enseignée nous semble
y correspondre parfaitement ».”
Voyant que cette pratique était accessible au plus grand nombre
et alors que s’approfondissait sa propre exploration sur le sujet,
Ajahn Sumedho continua à la développer comme méthode
essentielle de méditation, au même titre que des formes classiques
telles que l’attention à la respiration et la méditation sur le corps.
Pour libérer le cœur, le Bouddha encourageait ses étudiants à
utiliser des moyens habiles efficaces. Et bien que ne faisant pas
partie des pratiques courantes de méditation du Canon Pali ou
des anthologies telles que le Visuddhimagga, il sembla tout à fait
approprié de lui accorder une place parmi elles; car assurément
c’est la libération du cœur qui est l’objet de toutes les pratiques et
l’arbitre final de ce qui est utile et donc bon.
Le second des termes auquel Ajahn Sumedho a donné un sens
particulier est “la conscience intuitive.” Comme avec le son du
silence, il éclaire à maintes reprises les manières d’entendre ces
termes, en particulier dans le discours « de la conscience intuitive ».
À ce stade, il est utile de clarifier l’utilisation de cette notion en la
rapprochant des différents mots Pali qui la composent.
Au cours de ce livre, lorsque l’expression « conscience intuitive »
est utilisée, les mots « sati-sampajanna » sont mis entre parenthèses
juste à la suite, pour dire que le premier est la traduction du
dernier. Sati-sampajanna, ‘conscience intuitive ‘, est utilisée pour
désigner une partie d’un continuum dont le premier élément est
« sati » : la connaissance consciente d’un objet; le deuxième
élément est « sampajanna sati » et se réfère à la conscience
intuitive d’un objet dans son contexte; le dernier élément est
« sati-panna », traduit habituellement par « pleine conscience
et sagesse ». Il fait référence à la nature essentielle d’un objet :
transitoire, insatisfaisante et non soi. Pour caractériser la relation
entre ces trois éléments, Ajahn Chah les comparait à la main, le bras
et le corps; « sati » attrape les choses, « sampajanna » est le bras
qui permet à la main de se rendre à l’endroit désiré et « panna »
est le corps qui lui fournit la force vitale et l’élément directif.

Tout au long de ces enseignements Ajahn Sumedho développe
le lien entre les termes « sati-sampajanna » et « conscience
intuitive ». Pour se faire, il élargit et éclaire d’un nouveau jour
cette notion. En effet, « sampajanna » est couramment réduit au
sens de « compréhension claire » ou encore «conscience de soi ».
Sa principale préoccupation est, comme il le dit à la page 25, que
cette traduction ne donne pas le sens de la vraie dimension de
cette clarté. C’est pourquoi il expérimente avec une expression
à laquelle il donne une qualité délibérément large et qui inclut
l’élément de mystère; car il est important que le texte anglais
transmette également l’impression d’une harmonisation entre le
cœur et les expériences que l’intellect ne peut pas comprendre, ou
comme il dit, qui sont nébuleuses, confuses ou incertaines. Le mot
« intuitive » est utilisé car il transmet parfaitement le mélange
d’une véritable appréhension de la réalité, mais aussi le fait que la
raison pour laquelle les choses sont telles qu’elles sont ne soit pas
du tout évidente.
Le dernier et peut-être le plus important terme à regarder sous cet
angle est le mot « conscience ». Le mot pali « vinnana » est presque
toujours traduit en anglais par « conscience ». En psychologie
bouddhiste « vinnana » traduit généralement une conscience
discriminatoire qui agit par l’intermédiaire de l’une des six portes
des sens: les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps ou l’esprit.
Cela signifie l’acte de connaître un objet connaissable. Cependant,
ce n’est pas la seule façon dont le Bouddha utilise ce terme.
Comme le mentionne Ajahn Sumedho à la page 134, il y a deux
endroits dans les discours où un ensemble de qualités sensiblement
différentes sont associées avec le terme de conscience. La phrase
qu’il cite (vinnana anidassana manantam sabbato pabham) se
trouve dans le Diga Nikàya 11.85 dans le Kevaddha Sutta et en
partie dans le Majjhima Nikāya 49.25. Le premier passage se
trouve à la fin d’un conte coloré raconté par le Bouddha. Il narre
l’histoire d’un moine dont l’esprit se pose la question suivante:
« Je me demande où les quatre grands éléments - terre, eau, feu et
vent - cessent sans laisser de traces? » Étant un méditant qualifié le
bhikkhu en question entre dans un état d’absorption et le chemin
des dieux s’ouvre à lui. Alors il commence par poser sa question
aux cortèges des Quatre Rois Célestes, les gardiens du monde, les
premiers dieux qu’il rencontre. Ils hésitent disant qu’ils ne savent
pas la réponse, mais que sans doute les quatre rois la connaîtront
et c’est à eux qu’il devrait la poser. C’est ce qu’il fait, cependant,
eux non plus ne le savent pas et la recherche continue.
Progressant vers le haut à travers les cieux successifs qu’il parcourt,
il est continuellement confronté à la même réponse: « Nous ne
savons pas, mais vous devriez essayer de demander ... » et il est
renvoyé au niveau suivant de la hiérarchie céleste. Supportant
patiemment le processus prolongé de cette chaîne de l’ordre
cosmique, il arrive enfin en présence de l’escorte de Maha-Brahma
et il lui pose la question. Une fois de plus elle ne parvient pas à
donner de réponse cependant elle l’assure que le Grand Brahma
lui-même, s’il daigne se manifester, lui fournira certainement la
réponse qu’il cherche. Effectivement, peu de temps après, Maha
Brahma apparaît mais lui non plus ne connaît pas la réponse et il
reproche au moine qu’en tant que disciple du Bouddha, il n’aille
pas poser une telle question à son propre maître.
Lorsqu’il rencontre enfin le Bouddha et lui pose la question, il
reçoit cette réponse: “Mais bhikkhu, vous ne devriez pas poser
votre question de cette façon: « Où les quatre grands éléments -
terre, eau, feu et vent – cessent-ils totalement? » Au lieu de cela,
voici comment la question aurait dû être posée:

« Où est-ce que la terre, l’eau, le feu et le vent, le long, le court, le
fin et le grossier, le pur et l’impur ne trouvent pas racine? Où est-
ce que Nama (nom) et Rupa (forme) disparaissent sans laisser de
trace? »
“Et la réponse est:
« Dans la conscience éveillée – l’invisible, l’illimité, le radieux
[vinnana anidassana manantam sabbato pabham]. C’est là que la
terre, l’eau, le feu et le vent, le long et court, le fin et le grossier, le
pur et l’impur ne trouvent pas racine.
C’est là que nama et rupa disparaissent sans laisser de trace. Quand
la conscience discriminative atteint sa limite, alors seulement ils
cessent et sont tenus en échec. “ »
Le terme anidassana-vinnana a été traduit de diverses façons:
“conscience sans signe” (Walshe) “conscience non manifestée”
(Nanamoli) et plus adéquatement par Bhikkhu Nanananda dans
son livre Concept et Réalité (p 59) “conscience non-manifeste.” Il
est peu probable que la langue anglaise ait un terme unique capable
de transmettre correctement la constellation de significations que
possède “anidassana-vinnana”. Cependant, c’est généralement à
cet ensemble de qualités qu’Ajahn Sumedho fait allusion quand il
utilise le simple terme « conscience ».
Comme il le dit également à la page 134, ce sont de longs mots qui
indiquent cet état de conscience naturel, cette réalité. Il faut donc
que le lecteur garde à l’esprit que la plupart du temps il utilise de
façon très délibérée le mot « conscience » comme un raccourci
d’ “anidassana-vinnana.” Naturellement ce mot est aussi utilisé
dans divers endroits dans son sens habituel de ‘connaissance
discriminative’ ainsi que dans le sens de « la conscience de la
re-naissance » (patisandhi- vinnana) par exemple, à la page 138,
« quand nous sommes nés dans une naissance physique, nous
avons une conscience au sein de cette forme ». En outre, Ajahn
Sumedho utilise aussi parfois le mot dans le sens anglais ordinaire,
à savoir l’état d’être éveillé et conscient de son environnement et
de son identité.
Un parallèle évident de l’emploi qu’Ajahn Sumedho fait du mot
conscience est la phrase Thaï “poo-roo” employée par la plupart
des Ajahns de la tradition de la Forêt. La traduction littérale est :
“poo” : “personne” et “roo” : “connaissant”. Il a été rendu de
diverses façons comme “conscience”, “celui qui sait”, ou même “la
sagesse du Bouddha”.
C’est également un terme qui peut être utilisé pour transmettre un
large éventail de significations, depuis le simple constat de l’esprit
connaissant un objet (comme dans les définitions classiques de
vinnana), puis passant par différents niveaux de raffinement
(comme d’être le témoin d’apparitions et de disparitions de
phénomènes), jusqu’à la conscience totalement libre du cœur
pleinement éveillé.
Il peut tout signifier, de “la simple connaissance”, à “la sagesse
d’un Bouddha pleinement illuminé”. De la même façon qu’Ajahn
Sumedho emploie le terme “conscience”, il est nécessaire avec le
terme “poo-roo” d’être attentif à son contexte et de tenir compte
des expressions favorites de l’Ajahn en question pour discerner les
nuances de sens voulues - ergo, caveat lector!
Comme on trouve dans ce livre une telle variété de sens contingents
au mot conscience, il serait sage que le lecteur considère toujours
le contexte dans lequel ce terme est utilisé. Dans ce contexte,
certains auront probablement l’impression que, pour aider à la
compréhension des textes, il aurait sans doute fallu rester plus
proche de la terminologie la plus connue, en utilisant un mot
tel que “citta”, le cœur, qui définit l’agent de la conscience pure,
au lieu de “anidassana vinnana”. Comme il est dit ci-dessus, ce
fut le but explicite de l’éditeur de ce livre de maintenir le style
spontané et informel des paroles d’Ajahn Sumedho. Tous ses
entretiens sont improvisés sous une forme qui répond aux besoins
des auditeurs présents. Un aspect de cette manière d’enseigner
est qu’elle exige souvent que l’auditeur ou le lecteur élargisse
sa vision de l’enseignement, de la pratique et de la façon dont
certains mots peuvent et doivent être utilisés. En outre, cette
méthode spontanée et directe d’exposer le Dhamma encourage les
participants à se laisser transformer par ce qu’ils voient et ce qu’ils
entendent plutôt qu’à juger si cela est conforme ou non à leur
mode habituel et familier de pensée. Irions-nous nous plaindre
à Van Gogh qu’une “église construite ainsi ne tiendrait jamais
debout!?” Probablement pas...
Cher lecteur, après avoir parcouru ces pages et découvert cette
petite galerie d’enseignements d’Ajahn Sumedho, notre espoir le
plus cher est que vous ayez trouvé ici des mots et des images qui
vous aident à éveiller et libérer le cœur. Tout ce que vous avez
trouvé d’utile et de bénéfique je vous prie de le conserver et de
l’intégrer dans votre vie, et tout ce qui ne l’a pas été, je vous prie
de le l’abandonner et de suivre votre chemin en paix.
Bhikkhu Amaro
Monastère d’Abhayagiri, le 10 décembre 2003
24


1 LA CONSCIENCE INTUITIVE


Dans la contemplation de la Compréhension Juste1 (sammā-ditthi),
j’aime mettre l’accent sur l’aspect intuitif de cette contemplation
plutôt que sur le côté conceptuel. J’ai trouvé très utile de
simplement observer la différence entre réflexion analytique et
attention globale intuitive, juste pour éclaircir les choses car il y
a un fossé entre utiliser l’esprit pour penser, analyser, raisonner,
critiquer, avoir des idées, des perceptions ou des opinions, et
s’ouvrir à une attention globale intuitive qui soit non-critique.
C’est une attention globale, donc elle inclut la critique ; il ne s’agit
pas d’interdire la critique. Elle est incluse mais de telle sorte que
l’esprit critique est considéré comme un objet. on observe sa
tendance à critiquer, à comparer, à avoir une opinion, à déclarer
que ceci est mieux que cela, que ceci est juste et cela est faux,
à se critiquer soi-même ou les autres – peu importe ; tout
cela peut être justifié et valable à un certain niveau
néanmoins, dans cette approche, on ne cherche pas à
développer des facultés critiques (déjà bien assez présentes
dans nos pays occidentaux) mais plutôt à faire confiance à
l’attention globale intuitive (sati-sampajañña)

1 l’un des huit facteurs de l’octuple sentier, la voie que le bouddha a montrée pour
atteindre la libération définitive de la souffrance.


Sampajañña est un mot pāli que l’on traduit généralement par
« claire compréhension » mais cette traduction est plutôt vague.
Malgré le mot « claire », on ne voit pas bien la portée de cette
clarté. Quand on a une définition claire des choses, on croit qu’on
va pouvoir les comprendre parfaitement. C’est bien pour cela que
nous n’aimons pas la confusion, n’est-ce pas ? Nous n’aimons pas
nous sentir dans le brouillard, dans le trouble et l’incertitude, c’est
pourquoi nous passons tellement de temps à essayer d’avoir une
compréhension claire et des assurances. Mais sati-sampajañña
inclut le brouillard, la confusion, l’incertitude et l’insécurité. C’est
une claire conscience ou une « aperception » de la confusion : nous
reconnaissons que les choses sont comme elles sont. L’incertitude
et l’insécurité sont ainsi. C’est donc une claire conscience qui
« comprend » – qui « englobe » – même les états d’esprit les plus
vagues, amorphes ou nébuleux.
Certains trouvent cette approche frustrante car, dans la
méditation, il est plus facile d’avoir des directives précises et une
méthode à suivre. Nombre d’entre nous ont essayé cette voie bien
réglée mais, bien qu’elle soit très intéressante, elle peut aussi
devenir une accoutumance. De plus, on n’arrive jamais à la racine
de la cause qui est : « Je suis cette personne qui a besoin de quelque
chose pour s’éveiller »...
Ceci dit, l’approche intuitive n’exclut pas les méditations
méthodiques. Je ne suis pas opposé aux techniques de méditation
qui existent dans notre tradition du bouddhisme Theravada, pas
du tout ; j’essaie juste de les mettre en perspective. Si vous suivez
des retraites de méditation, des cours, etc. l’attention globale
intuitive vous aide à pratiquer la méthode enseignée, mieux que si
vous faites simplement confiance à la technique sans la remettre
en question ni regarder au-delà des perceptions erronées que
vous avez de vous-même. Elle vous encourage à poser les bonnes
questions, à aller vraiment au fond de ces perceptions que vous
avez de vous-même. Que vous pensiez être le meilleur, un cadeau
du ciel pour le monde ou la pire des nullités, que vous ne sachiez
pas qui vous êtes ni ce que vous voulez, ou que vous vous trouviez
parfois supérieur aux autres et d’autres fois inférieur, vous verrez
que tout cela change.
L’idée que nous nous faisons de notre personnalité (sakkāya-
ditthi) ainsi que l’attachement aux rituels et aux techniques
(sālabbataparāmāsa) et le doute (vicikicchā) sont les trois premiers
obstacles qui nous barrent la route et nous empêchent de voir le
chemin de la non-souffrance. Essayer d’imaginer ce que signifie
être attentif est une tâche impossible. Si je dis : « Réveillez-vous,
soyez attentifs ! » la réaction sera : « Mais de quoi parle-t-il ? »
Ensuite, si l’on essaie d’y réfléchir, le mental tourne en rond ; c’est
frustrant. La conscience intuitive est frustrante pour les gens de
tempérament analytique qui ne font confiance qu’à la pensée, la
raison et la logique. L’attention, c’est maintenant. Il ne s’agit pas
d’y réfléchir mais de prendre conscience qu’on se pose la question
« Comment s’y prend-on ? »
Quand j’étais sāmanera (moine novice), j’ai eu une révélation.
Je me disais : « Comment fait-on pour arrêter de penser ? On
s’arrête ! Oui mais comment fait-on pour s’arrêter ? On s’arrête,
tout simplement. Et comment s’arrête-t-on tout simplement ? »
L’esprit revenait toujours à la question du « Comment ? Comment
fait-on ? » Il essayait de comprendre au lieu de faire confiance à
l’immanence de la chose. Faire confiance, c’est se détendre, c’est
une simple attention qui est un acte de foi (saddhā). Cela donne une
perspective, du recul par rapport à ce que l’on veut faire, y compris
d’autres pratiques méditatives. L’approche intuitive convient
même à l’entraînement physique avec des pratiques conscientes
comme le yoga, le tai-chi, le qi-gong etc. Quand on développe ces
techniques, on finit par devoir faire confiance à l’attention globale
plutôt que simplement à « moi et mes efforts de volonté » pour
arriver à faire tout cela.
Je me souviens, quand j’ai commencé le hatha yoga, il y a
des années, je voyais des photos de yogis dans des postures
extraordinaires et je voulais en faire autant, surtout les postures
les plus impressionnantes. J’avais un grand ego et je ne voulais
pas faire les mouvements ennuyeux des débutants ; mon vrai but,
c’était le prodigieux. Bien entendu, en essayant de forcer le corps à
faire ce qu’il n’est pas encore prêt à faire, on peut se faire très mal,
c’est plutôt dangereux ! L’intuition, c’est aussi connaître les limites
de son propre corps, savoir ce qu’il est capable de supporter et
non exiger n’importe quoi de lui par la force de la volonté, selon
les idées ou les idéaux que l’on peut avoir. On risque vraiment de
causer de graves problèmes en forçant tyranniquement le corps à
faire certaines choses. L’attention globale (sati-sampajañña) inclut
le corps avec ses limites, ses faiblesses et ses maladies mais aussi sa
santé et ses plaisirs.
Dans le bouddhisme Theravada, surtout quand on est moine
ou nonne – c’est-à-dire célibataire quêtant sa nourriture – on a
tendance à considérer qu’il ne faudrait pas se réjouir du plaisir
des sens. Un esprit occidental interprète volontiers cela comme
un rejet du plaisir, du bonheur et de la joie. Nous méditons sur
l’aspect répugnant du corps (asubha), nous disons qu’il est grossier,
repoussant, rempli d’excréments, de pus, de mucosités, etc. Les
moines ne doivent jamais regarder une femme, ils sont censés
garder les yeux baissés et ne pas céder aux plaisirs de la beauté,
quels qu’ils soient. Je me souviens qu’en Thaïlande on m’a même
dit que je ne devais pas regarder une fleur parce que sa beauté
me saisirait et me donnerait des pensées « du monde ». Comme je
suis issu d’un milieu chrétien doté d’une forte éthique puritaine,
il est facile de supposer que le plaisir des sens est mauvais, voire
dangereux et qu’il faut le repousser et l’éviter à tout prix. Mais
n’est-ce pas là encore une opinion, un jugement qui vient de
l’esprit analytique ?
Du point de vue de mon milieu culturel, il y a une logique dans
les pratiques asubha – être complètement dégoûté par le corps, le
trouver grossier et repoussant. Parfois on se regarde, même quand
on est en forme et en bonne santé, et on se trouve répugnant – ça
m’est arrivé. C’est naturel dans la mesure où l’on s’identifie à son
corps et où l’on s’appesantit sur ses aspects les moins attrayants.
Mais le mot « répugnant » n’est pas une bonne traduction d’asubha
parce que, à mon sens, il signifie ressentir un vrai dégoût et de
l’hostilité. Si une chose est répugnante, elle est sale, grossière,
mauvaise et vile ; nous ressentons de l’aversion et nous voulons
nous en débarrasser. Tandis qu’asubha signifie simplement
« non-beau ». Subha veut dire « beau » et a-subha « non beau ». La
voyelle « a » est privative 2. Je trouve que c’est une bien meilleure
façon de considérer ces pratiques. C’est tout autre chose: il s’agit
de regarder ce qui n’est pas beau et d’en prendre conscience, alors
qu’en général nous ne le remarquons pas. Nous avons tendance
à tourner notre attention vers ce qui est beau dans la vie et à
détourner le regard de ce qui ne l’est pas, à l’ignorer ou à le rejeter.
Nous l’écartons parce que ce n’est pas très attirant.
Certains d’entre vous ont vu des autopsies. Je ne trouve pas que
cela génère dépression ni aversion.
2. Comme dans Amaravati, le nom du monastère en Angleterre créé par Ajahn
Sumedho : mara est la mort et amara, ce qui ne meurt pas – « au-delà de la mort ».

Contempler un corps humainmort lors d’une autopsie, quand on le découpe,
peut être assez choquant si c’est la première fois. Les odeurs, l’aspect... on peut
sentir de l’aversion au début. Mais, une fois passée la première
réaction de choc et de répugnance, avec sati-sampajañña on
peut s’ouvrir à l’expérience et ressentir un certain détachement
qui est assez plaisant. Le détachement émotionnel est très clair,
très frais, très agréable. Ce n’est pas le fait de l’indifférence ni
d’un cynisme intellectuel mais simplement un sentiment de non-
aversion. Ce détachement se produit lorsque nous cessons de voir
le corps humain de manière ordinaire – beau et attirant ou laid et
répugnant – mais en termes de sati-sampajañña, qu’il s’agisse de
notre propre corps, de celui de quelqu’un d’autre ou d’un cadavre.
Sati-sampajañña ouvre la voie à l’expérience du détachement des
passions (virāga).
Le désir, par contre, est un manque de discrimination. Le
désir sexuel est une forte passion qui asservit et prive de tout
discernement. Plus on se laisse absorber par lui, moins on est
lucide. Il est intéressant de constater qu’en général les personnes
critiques (de type dosacarita, colère-aversion) aiment bien les
pratiques asubha. Elles apprécient les méditations méthodiques –«
Commencez par faire ceci, ensuite passez à cela » – bien présentées
intellectuellement – « Étape 1, étape 2 » – selon une petite routine
bien établie. Si on est de type critique, il est facile de voir le corps
comme étant grossier et répugnant. Par contre, un kāmarāgacarita,
c’est-à-dire une personne de type désir-convoitise, adore la
méditation mettā (sur l’amour universel inconditionnel) parce que
mettā n’est pas critique du tout.
Asubha et mettā sont donc des upāya, des moyens habiles, pour avoir
un autre regard sur les choses. Si on est de type désir, les pratiques
asubha peuvent rééquilibrer. On peut les utiliser très judicieusement
pour développer plus de discernement et de lucidité par rapport
à ce qui est déplaisant et non attirant. Quant aux dosacarita, ils
peuvent utiliser mettā : apprendre à accepter ce que l’on n’aime
pas sans céder à la tendance à critiquer, rejeter ou s’opposer.
La méditation mettā est la manifestation d’une réelle bonne volonté.
On peut la pratiquer de manière formelle mais, fondamentalement,
c’est sati-sampajañña. Sati-sampajañña accepte et inclut tout.
Mettā est l’une de ces choses qui inclut tout, qui est beaucoup plus
intuitive que conceptuelle. Lorsqu’on conçoit mettā en tant qu’ «
amour », il est impossible de le pratiquer dès que l’on évoque des
choses que l’on ne supporte pas, des personnes que l’on déteste,
etc. Sur le plan conceptuel, il est très dur d’adhérer à mettā : aimez
vos ennemis, aimez les gens que vous détestez, que vous ne pouvez
pas supporter – c’est un dilemme impossible. Par contre, en termes
de sati-sampajañña, c’est l’acceptation parce que cela inclut tout
ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas.
Mettā n’est pas analytique. Ce n’est pas s’appesantir sur les raisons
pour lesquelles on déteste quelqu’un mais tout inclure – le ressenti,
la personne et soi-même – dans le même instant. C’est englober.
C’est un lieu d’union qui inclut sans jugement. On n’essaie pas
de comprendre quoi que ce soit mais simplement de s’ouvrir et
d’accepter avec patience.
Concernant la nourriture, par exemple. Ici, nous suivons la pratique
dhutanga (ascétique) qui consiste à manger dans le bol dans lequel
on nous a offert la nourriture. Personnellement je n’arrive plus à
me convaincre que je ne mange qu’un repas par jour à cause de
tout ce que l’on nous offre à manger le matin 3 !


3. Dans les monastères d’Ajahn Chah, on ne mange qu’un repas par jour, vers huit
heures du matin. Cela fait également partie des pratiques dhutanga mais il a été
difficile de maintenir cette tradition en Occident.


Mais bon, quel que soit le nombre de repas que l’on mange par jour, il y a une limite.
Non parce qu’il est mal d’apprécier un repas ; on ne dit pas que
la nourriture est dangereuse en soi ni que tout plaisir que l’on en
retire va nous enchaîner au cycle des renaissances (samsāra-vatta)
– ce serait encore une opinion, un jugement – mais, simplement,
qu’il est bon d’apprécier la simplicité de la vie que nous menons. La
vie monastique simplifie tout. C’est pour cela que j’aime cette voie.
Observez simplement votre attitude face à la nourriture. L’avidité,
l’aversion ou la culpabilité par rapport au fait de manger ou
d’apprécier une bonne nourriture. Acceptez tout globalement.
Vous n’êtes pas obligé d’avoir telle ou telle attitude ; simplement
sati-sampajañña. Donc, ne faisons pas un problème des repas.
Quand j’étais auprès d’Ajahn Chah et que je décidais de jeûner, il
me disait que je créais un problème autour de la nourriture. Je ne
me contentais pas de manger tout simplement ; je me créais des
difficultés inutiles. Et puis, il y a la culpabilité que l’on ressent si
on mange trop ou si on essaie de se servir les meilleurs morceaux.
Je me souviens que je choisissais les bonnes choses et que je m’en
voulais après. Il y a cette avidité qui veut vraiment être satisfaite
et qui, ensuite, crée de la culpabilité – alors là, les choses se
compliquent. Je ne pouvais pas être simplement gourmand et
sans-gêne ; il fallait que ce sentiment de culpabilité s’ajoute et, en
plus, j’espérais que personne ne me remarquerait. Je devais garder
cette gourmandise secrète pour ne pas avoir l’air avide, je voulais
paraître détaché, au contraire.
Je me souviens que, pendant que je séjournais auprès d’Ajahn Jun,
j’essayais d’être un vrai végétarien, vraiment très strict. Dans ce
monastère (Wat Bung Khao Luang), il y avait certains plats qui
n’avaient ni poisson ni viande ni même de la sauce de poisson, ce
qui est très rare en Thaïlande, comme vous le savez. J’avais donc
ce qu’il me fallait mais très peu de choix. Les gens préparaient
des plats spécialement pour moi ; il fallait toujours que je sois
différent : c’était la nourriture de Phra Sumedho en premier et
ensuite le reste. C’était assez gênant d’être un étranger – un «
phra farang » – et d’avoir un régime spécial avec des privilèges
particuliers. J’étais gêné d’imposer cela au groupe mais, quand les
plats circulaient entre les moines, je devenais très possessif. Nous
partagions les plats de légumes mais j’avais le sentiment d’avoir le
droit d’en manger beaucoup plus que les autres puisqu’ils avaient
aussi du poisson, du poulet, etc. Je me suis surpris à me précipiter
sur les plats de légumes en premier pour ne les faire passer aux
autres qu’après m’être servi selon mes besoins. Cela a réveillé une
tendance vraiment gamine chez moi. Et puis, un jour, un moine
m’a vu faire ; alors, il s’est emparé du plat végétarien avant moi
et ne m’en a servi qu’une petite cuillerée. J’étais tellement furieux
que j’ai pris la sauce de poisson fermentée, une sauce extrêmement
forte, et quand je suis passé près de son bol, je l’ai versée sur tout
son contenu ! Heureusement qu’il était interdit de se battre ! Cette
règle contre la violence physique est absolument nécessaire chez
les hommes.
J’essayais de vivre à la hauteur d’un idéal de pureté végétarienne
et, ce faisant, j’avais des réactions vraiment agressives vis-à-
vis d’autres moines. Qu’est-ce que cela veut dire ? Asperger la
nourriture d’un moine de toute cette sauce piquante de poisson
pourri était un acte de vengeance, un geste violent pour que je
puisse maintenir le sentiment d’être un pur végétarien. C’est alors
que je me suis demandé si je voulais vraiment que la nourriture
prenne autant d’importance dans ma vie. Est-ce que mon principal
objectif dans cette vie était d’être végétarien ? Méditer là-dessus
m’a permis de voir toute la souffrance que je créais du fait de
mon idéalisme. J’ai observé Ajahn Chah et j’ai vu qu’il appréciait
visiblement sa nourriture et que sa présence était joyeuse. Ce
n’était pas une voie ascétique où l’on mange de la soupe d’orties et
où l’on rejette les bons morceaux – ce serait l’autre extrême.
Sati-sampajañña, donc, inclut tout et c’est l’attitude juste d’un
samana (moine ou nonne). Nous ne sommes pas des ascètes pour
qui « les tentations des sens, le monde des sens, les plaisirs des
sens sont mauvais et dangereux. Il faut les combattre et leur
résister à tout prix pour devenir pur. Quand vous serez libéré
du désir sexuel, de la gourmandise et de toutes les autres formes
d’avidité liées aux sens – ces choses vulgaires et grossières –, votre
esprit sera libre des mauvaises pensées, de la convoitise, de la
haine et de l’ignorance. Vous serez absolument stérilisé de toutes
ces choses. Elles seront éradiquées, totalement effacées comme
ces nettoyants pour les toilettes qui tuent toutes les bactéries
en vue – alors vous serez pur. » Si vous suivez cette voie-là, vous
réussirez à tout exterminer, y compris vous-même ! Est-ce le
but ? Cela, c’est utiliser l’ascétisme jusqu’au point d’annihilation
(attakilamathānuyoga).
Ou bien est-ce l’autre extrême, le kāmasukhallikānuyoga, qui est le
but ? « Mangez, buvez et réjouissez-vous car vous pouvez mourir
demain. Profitez de la vie. La vie est un banquet et la plupart de ces
pauvres idiots meurent de faim ». C’est une citation d’Auntie May,
un film des années cinquante. Auntie May est une sorte d’icône
plus qu’une vraie femme ; une icône d’intelligence et de beauté qui
profite de la vie au maximum en s’amusant tout le temps – dans
le film, en tout cas. Voilà une idole très attirante : considérer que
cette vie doit être remplie de plaisir, de bonheur et d’amour. Se
saisir de cette vision des choses, c’est le kāmasukhallikānu-yoga.
Pour le samana (moine ou nonne), il s’agit de s’éveiller à ces
attitudes, de les inclure toutes les deux et non de prendre parti en
rejetant ou en condamnant Auntie May avec sa « vie est un banquet
» ou les ascètes extrémistes qui semblent vouloir annihiler toute
vie. Tout ce qu’il faut faire, c’est voir qu’il s’agit de conditions que
nous créons nous-mêmes en esprit. Vouloir que la vie soit toujours
formidable, une fête, un banquet où les plaisirs s’enchaînent, ou
bien penser que toute forme de plaisir est mauvaise et dangereuse
– tout cela, ce sont des conditions que nous créons. Tandis que
la vie du samana, c’est maintenant, et elle est comme elle est.
C’est s’ouvrir à ce que l’on a tendance à ne pas remarquer quand
on recherche ces deux extrêmes. La vie est comme elle est. On ne
peut pas dire qu’elle soit fantastique tout le temps : l’air entre,
l’air sort... Ce n’est pas vraiment folichon. Je ne dirais pas non plus
qu’écouter le son du silence soit ce qu’il y a de plus excitant ou de
plus rigolo dans la vie. C’est comme c’est.
La plupart des choses que nous vivons n’ont rien d’extrême. Elles
sont comme elles sont. Il n’y a pas de grands pics qui montent ou
qui descendent. C’est plutôt « ni ceci ni cela » ; c’est tout ce que nous
ne remarquons pas quand nous sommes attirés par les extrêmes.
Quand il s’agit de beauté, par exemple, je trouve utile de regarder
les choses du point de vue de sati-sampajañña plutôt que du point
de vue d’un attachement personnel. Ainsi, considérer de beaux
objets ou de belles personnes à partir d’habitudes personnelles
est dangereux parce qu’aussitôt, du fait de notre ignorance de la
réalité, apparaît le désir de les posséder, de les garder pour soi,
ou bien on est attiré au point d’être submergé par le désir. Par
contre, en considérant la beauté à partir de sati-sampajañña, on
peut simplement être conscient de la beauté comme de la beauté.
Ce regard inclut la tendance que l’on peut ressentir à vouloir la
posséder, s’en emparer, la toucher ou la craindre. C’est inclus mais
on peut lâcher tout cela et, alors, la beauté est une joie.


Nous vivons sur une planète qui est très belle. La nature est un
régal pour les yeux. En la voyant avec sati-sampajañña, je ressens
de la joie. Par contre, quand on regarde ou que l’on parle à partir
d’habitudes personnelles, tout se complique. C’est compliqué,
pour sûr, entre vouloir et ne pas vouloir, la culpabilité, ou même
simplement ne pas remarquer ce qui est sous nos yeux – si on est
trop pris par ses pensées, au bout d’un moment on ne remarque
plus rien de ce qui se passe autour ; on peut être dans le plus bel
endroit du monde et ne pas le voir, ne pas le remarquer. Donc,
la beauté en tant qu’expérience ou plaisir des sens, c’est voir la
chose telle qu’elle est. Elle est agréable. Une bonne nourriture a
bon goût, c’est indéniable. Savourer quelque chose de délicieux,
c’est cela et c’est tout. C’est purement agréable. C’est ainsi. Vous
vous direz peut-être: « Oh, je ne devrais pas me délecter ainsi »
mais vous ne feriez que compliquer les choses. Du point de vue
de sati-sampajañña, c’est ce que c’est. On fait l’expérience du flux
de la vie à partir de ce point central, ce point immobile qui inclut
tout, plutôt qu’à partir du point qui exclut, l’extrême où nous ne
voulons que ce qui est beau et bon, jouir d’un banquet après l’autre
et, quand on ne peut pas maintenir l’illusion que c’est possible, on
tombe dans la dépression, on va vers l’extrême inverse : on veut se
suicider ou se supprimer d’une manière ou d’une autre.
C’est comme le temps que nous avons ces jours-ci. Certaines
personnes diront que c’est toujours comme cela en Angleterre :
froid, humide, pluvieux et gris ! Dans le monde entier, c’est ainsi
que les gens imaginent l’Angleterre. J’ai décidé de m’ouvrir à ces
conditions avec sati-sampajañña – « c’est ainsi » – et je ne crée
pas d’aversion. C’est acceptable et, en réalité, ce n’est pas comme
cela très souvent. Je vis dans ce pays depuis vingt-quatre ans et
certaines des plus belles journées que j’ai vues ont été dans ce
pays. Un temps parfait, le vert, les fleurs, les collines... Donc, sati-
sampajañña inclut le temps froid, humide, pluvieux et gris. Il n’y a
aucune aversion. Je m’aperçois même que j’apprécie ces journées
parce que je ne me sens pas obligé de sortir. Je peux rester assis au
chaud dans mon kouti. J’aime bien sentir que je ne dois pas sortir
juste parce qu’il fait beau. Je peux rester dans ma pièce que j’aime
beaucoup ; elle est très agréable ; tandis que, lorsque le temps est
vraiment beau, j’ai toujours le sentiment que je devrais sortir.
Ce sont des moyens de remarquer simplement, même dans ce qui
peut être physiquement déplaisant, comme le froid ou l’humidité
que nous considérons comme des expériences sensorielles
désagréables, que la vraie souffrance vient de notre aversion pour
ce qui est. « Je n’aime pas cela. Je ne veux pas que la vie soit ainsi. Je
veux vivre là où le ciel est bleu et où le soleil brille tout le temps. »
Avec la pratique du balayage du corps, j’ai découvert que porter
l’attention sur des sensations neutres est très utile parce que,
sinon, elles passent très facilement inaperçues. Au début – cela
remonte à des années – j’avais du mal à les repérer parce que je
n’y avais jamais prêté attention, alors qu’elles sont très évidentes.
Pour moi, les sensations étaient quelque chose d’extrême, soit de
plaisir, soit de douleur. Mais prendre conscience du contact entre
les vêtements et la peau, une main qui touche l’autre, la langue
en contact avec le palais ou les dents, la lèvre supérieure sur la
lèvre inférieure... s’intéresser à tous ces petits détails dans les
sensations, détails qui sont présents si l’on s’ouvre à eux mais que
l’on ne remarque pas, à moins d’être décidé à le faire. Par exemple,
quand les lèvres vous font mal, vous le remarquez ; quand elles
vous procurent du plaisir, vous le remarquez ; mais, en l’absence
de douleur et de plaisir, il y a tout de même une sensation, une
sensation neutre. C’est ainsi que l’on rend la neutralité consciente.

La conscience est comme un miroir : elle reflète. Un miroir
reflète et pas seulement ce qui est beau ou laid. Quand on regarde
vraiment bien un miroir, on constate qu’il reflète tout : l’espace,
la neutralité, tout ce qui est devant lui. Généralement, on ne
remarque que ce qui ressort, les extrêmes de la beauté ou de la
laideur. Mais, pour s’éveiller à « ce qui est », on ne regarde pas
ce qui est évident. On reconnaît, au contraire, la subtilité qui se
cache derrière les extrêmes de la beauté et de la laideur. Le son du
silence est comme une subtilité derrière tout ce à quoi vous vous
éveillez parce que, en général, si on recherche les extrêmes, on ne
le remarque pas.
Quand vous recherchez le bonheur et essayez d’échapper à la
douleur et à la souffrance, vous êtes piégé dans le désir de toujours
vouloir obtenir quelque chose ou de vous saisir du bonheur. C’est
comme la paix du samādhi. Nous voulons obtenir ce calme, nous
voulons être dans les jhāna (absorptions méditatives) parce que
nous aimons la tranquillité. Nous ne voulons pas de la confusion, du
chaos ou de la cacophonie, des expériences sensorielles agaçantes
ou des contacts humains. Nous n’en voulons pas. Alors, nous
venons nous asseoir dans le temple, nous fermons les yeux... et le
message est clair : « Ne me dérangez pas. Laissez-moi tranquille.
Je vais entrer en samādhi. » Peut-être est-ce le fondement même
de notre pratique : « Entrer en samādhi pour me sentir bien parce
que c’est cela que je veux. » Mais cette attitude mène à un autre
extrême : vouloir obtenir, se saisir de l’idéal d’une expérience de
conscience affinée. Et puis, il y a ceux qui disent : « Il n’est pas
nécessaire de pratiquer ainsi ; la vie quotidienne suffit. C’est là,
dans le monde, qu’est la pratique. Là où l’on ne fait rien d’aussi
extrême que s’asseoir les yeux fermés ; là où l’on mène une vie
ordinaire en étant attentif à tout. » Cela peut encore être un autre
idéal auquel on s’attache.
40

Ces façons de voir sont idéales ; nous pouvons prendre parti pour
l’une ou l’autre mais elles sont toutes deux « vraies mais pas justes ;
justes mais pas vraies »4. C’est un dilemme créé par notre esprit
dualiste – ce qui ne veut pas dire qu’elles sont fausses. Dans le
livre de George Orwell, Animal Farm, on parle d’un slogan : « Nous
sommes tous égaux mais certains sont plus égaux que d’autres ».
C’est ainsi que nous pensons, dans le monde conditionné. Nous
pensons que, idéalement, tous les humains sont égaux mais que, du
fait des contraintes de la vie, certains sont plus égaux que d’autres.
Le monde occidental riche ne semble pas prêt à trop se priver pour
l’amour de l’égalité dans le Tiers Monde...
Pensez à la vie monastique. C’est une convention dont la finalité
est liée au monde du fait de l’obligation de quêter notre nourriture.
En tant que nonnes et moines, nous avons besoin de la société,
nous avons besoin du monde qui nous entoure, nous avons besoin
de la communauté laïque pour survivre. Ils font partie de notre
vie. Être moine ou nonne n’est pas une attaque contre la vie laïque
ni un rejet. Si nous nous comportons bien, la communauté laïque
fait valoir ses propres qualités : générosité, gratitude, etc. Nous
pouvons aussi choisir le silence – c’est une pratique encouragée
– la méditation et la réflexion. Nous pouvons associer samatha et
vipassana (la méditation de la vision profonde) ; la vie solitaire et la
vie dans le monde. Il ne s’agit pas de rejeter l’une et de s’attacher à
l’autre comme étant l’idéal mais de reconnaître que les choses sont
ainsi. C’est ainsi. Le monde, la société dans laquelle nous vivons...
nous ne les rejetons pas, nous ne les fuyons pas, nous les incluons.
Ainsi pouvons-nous les inclure dans le silence et la solitude.
4. Formule souvent utilisée par Ajahn Chah.
41


2 IDENTITÉ


Y a-t-il quoi que ce soit – personne ou situation – qui soit absolument
juste ou absolument faux ? Le juste et le faux, le bon et le mauvais
peuvent-ils être absolus ? Quand on y regarde de très près, quand
on dissèque les choses en termes de « ce qui est maintenant », il
n’y a rien, aucun fondement. C’est comme de l’écume sur la mer,
ou des bulles de savon. Pourtant, nous sommes complètement
piégés par les idées fausses ; nous allons jusqu’à sacrifier notre vie
pour des idées fausses, pour essayer de protéger notre identité,
nos positions, notre territoire. Nous croyons que cette Angleterre
appartient aux Anglais mais, quand nous y regardons de plus près,
ce bout de terrain, là, dit-il qu’il est l’Angleterre ? Quand je fais
jongrom (la méditation en marchant) dehors, est-ce que la terre
vient me dire : « Tu marches sur moi, l’Angleterre » ? Cela ne
s’est jamais produit. Jamais ! Mais moi, je dis que je marche ici, en
Angleterre. C’est moi qui l’appelle « Angleterre ». C’est une identité,
une identité conventionnelle. Nous sommes tous d’accord pour
appeler ce bout de terre « l’Angleterre », mais ce n’est pas vraiment
ce qu’il est. En réalité, il est simplement ce qu’il est. Pourtant, nous
allons nous battre, torturer et commettre les actes les plus atroces
pour des questions de territoire, ou bien chicaner pour quelques
centimètres de propriété sur une frontière. La terre n’appartient
à personne, même si on peut la posséder sur le plan légal. « Cette
Ajahn Sumedho
terre est à moi » – non, pas vraiment ; ce n’est qu’une convention.
Quand nous sommes attachés à ces conventions et à ces idées
fausses, nous ne pouvons qu’être perturbés parce qu’elles sont
très instables et pas conformes au Dhamma. Au final, nous gâchons
notre vie à essayer de renforcer le sentiment d’identification, le
sentiment de « C’est à moi, cela m’appartient et je veux le protéger.
Je veux le transmettre aux générations futures ». Et cela continue
encore et encore, dans les vies futures et les générations suivantes.
Nous créons tout un monde illusoire de personnalité et d’identité
à partir des perceptions qui apparaissent puis disparaissent dans
notre esprit, qui n’ont aucune substance réelle, aucune essence.
Nous risquons de nous sentir très menacés quand ces illusions sont
remises en question. Je me souviens de la première fois que j’ai
douté de la réalité de ma personnalité – j’en étais mort de peur !
Même si je n’avais pas grande confiance en moi ni en mes capacités
personnelles (je n’ai jamais eu de tendance à la mégalomanie
– plutôt le contraire, à l’autocritique), quand j’ai commencé à
remettre en question ma personnalité, j’ai paniqué quand la
certitude, la confiance dans le fait que j’étais bien cette personne
compliquée, a été menacée. Il y a un sentiment de stabilité dans
l’identité, même chez les personnes qui s’identifient à leur maladie
ou à des choses négatives comme l’alcoolisme. S’identifier à une
maladie mentale comme la paranoïa ou la schizophrénie, par
exemple, donne le sentiment de savoir ce que l’on est et permet
de justifier un comportement. On peut dire, par exemple : « Je ne
peux pas m’en empêcher, je suis schizophrène ». Cela donne à la
personne l’autorisation de se comporter d’une certaine manière. Il
peut y avoir un sentiment de confiance ou de stabilité dans le fait
que notre identité soit étiquetée et que nous soyons tous d’accord
pour nous percevoir selon cette étiquette.

Imaginez alors tout le courage qu’il faut pour remettre cela en
question, pour permettre au monde des idées fausses que nous
avons créées de se dissoudre. C’est un peu comme lors d’une
dépression nerveuse, quand le monde s’effondre autour de vous.
Lorsque la sécurité et la confiance que nous donnent ces idées
fausses commencent à se fissurer et à se démanteler, cela fait
très peur. Cependant, au fond de nous, il y a quelque chose qui
nous guide et nous fait traverser ces craintes. Qu’est-ce qui nous a
conduits à cette vie monastique ? Une intuition, un sentiment plus
fort que la raison, une intelligence au-delà des connaissances et de
l’intellect. Mais nous ne pouvons pas dire de ce quelque chose qu’il
nous est personnel.
Nous devons toujours lâcher les perceptions personnelles sinon,
dès que nous les revendiquons, nous créons une nouvelle idée
fausse. Au lieu de revendiquer, de nous identifier ou de nous
attacher, voyons plutôt la réalité telle qu’elle est, de plus en plus
clairement. C’est cela, la pratique de la compréhension globale
(sati-sampajañña), c’est une attention pleinement consciente.
Autrement dit, il s’agit d’aller vers le centre, là où se trouve
Bouddho (ce qui sait en nous). Cette représentation du Bouddha
dans le temple, c’est le point immobile. Regardez-la. C’est un
symbole, une image de la forme humaine posée dans l’immobilité.
Et puis, notre tradition nous encourage à pratiquer ce que nous
appelons la « méditation ». Ce mot peut signifier toutes sortes
de choses ; il peut inclure n’importe quelles pratiques de l’esprit,
bonnes ou mauvaises. Pour ma part, quand j’utilise ce mot, c’est
le plus souvent pour évoquer le fait de se centrer, de se poser et
de se reposer dans le centre. La seule façon d’y parvenir n’est pas
en essayant de réfléchir et d’analyser la meilleure façon de nous y
prendre mais en ayant confiance dans notre capacité à simplement
être attentifs, présents et conscients. C’est tellement simple et
direct que notre esprit compliqué en est tout perturbé. « De quoi
parle-t-il ? Je n’ai jamais vu de point immobile. Je n’ai jamais rien
trouvé d’immobile en moi. Quand je m’assieds pour méditer, il n’y
a vraiment rien de posé ».
Pourtant, il y a bien une conscience de cela. Même si vous pensez
que vous n’avez jamais rien rencontré d’immobile dans votre
méditation ou que vous êtes dans la confusion la plus totale par
rapport à votre pratique, faites confiance à la conscience même
de cette perception. C’est pour cette raison que je vous encourage
à penser délibérément, clairement à tout ce que vous croyez être.
Explorez le type de perceptions que vous avez de vous-même pour
qu’elles cessent d’être des pensées habituelles qui vous traversent
l’esprit et auxquelles vous vous identifiez ou dont vous essayez
de vous débarrasser. Plus nous essayons de nous affranchir de
notre personnalité, plus nous sommes dans la confusion. Si vous
supposez que vous devez vous débarrasser de votre personnalité
parce que c’est une idée fausse, une illusion, vous vous fourvoyez
encore un peu plus : « Je suis quelqu’un qui a une personnalité
dont je dois me débarrasser » ou « Je suis la personnalité qui doit
se débarrasser de ma personnalité ». Tout cela ne mène à rien ;
c’est ridicule. Il ne s’agit pas de se défaire de quelque chose mais
de « connaître ».
Alors, jouez le jeu : intentionnellement, délibérément, soyez une
personnalité et menez l’investigation jusqu’à l’absurde. C’est très
drôle. Menez votre personnalité jusqu’au point où elle devient
totalement absurde et écoutez-la. Vous verrez que la relation qui
s’établit alors n’est plus une identification car vous avez clairement
conscience que c’est vous qui avez créé cette personnalité.
Vous reconnaissez qu’il s’agit en réalité d’un état en constant
changement, qu’il est impossible de créer la moindre perception
personnelle qui puisse se maintenir. Nous ne pouvons rien créer
par la force du mental qui ait la capacité de perdurer sur le plan
personnel. Tout est illusoire car très changeant, très éphémère.
Et pourtant... il y a bien quelque chose qui a conscience que
la personnalité est une fabrication mentale. Je peux me dire
délibérément : « Je suis une personne pleine de problèmes qui a
besoin de méditer pour s’éveiller un jour » – je peux le penser mais
je m’entends aussi le penser et j’observe tout cela. Je vois que j’ai
créé cette perception : j’ai choisi de penser cela et je m’entends
le penser. Par contre, ce qui est conscient et qui écoute cette
perception n’a pas été créé, n’est-ce pas ? Je crée la perception mais
pour ce qui a conscience de cette perception... que dire ? Là, nous
pouvons investiguer, commencer à clairement faire la distinction
entre avoir conscience de quelque chose et penser.
Qu’est-ce que le point immobile, le centre, le point qui inclut
tout ? Ce genre de pensée est réflectif, n’est-ce pas ? Je me contente
de poser la question pour y porter mon attention. Je ne cherche
pas une réponse qui me viendrait de l’extérieur. C’est une question
« réflective » qui clarifie mon attention, qui m’aide à la concentrer,
à être présent et conscient.
Plus je suis attentif et présent, plus je suis conscient que, au coeur
de ce point immobile, résonne le son du silence. Ce n’est pas moi
qui l’ai créé ; ce n’est pas une construction personnelle. Je ne
peux pas revendiquer le son du silence comme une création qui
m’appartiendrait – ce serait comme revendiquer l’air et l’espace :
« Tout l’espace du monde m’appartient » – ce serait ridicule. Il est
impossible de créer « quelqu’un » à partir du son du silence. On
peut juste « être » – ce sentiment d’être le point immobile, de se
poser, d’accueillir et de s’ouvrir à la personnalité, au corps, aux
habitudes émotionnelles qui apparaissent et aux pensées que l’on
a. J’ai maintenant un rapport de compréhension ou d’acceptation
globale vis-à-vis de tout cela et non plus une identification. Dès
que l’on s’identifie, une pensée négative surgit et nous piège. On
a une impression négative et : « Oh, voilà que je recommence à
être critique et négatif vis-à-vis des gens. Je ne devrais pas. Je suis
moine depuis des années et je ne sais toujours pas arrêter cela.
C’est perdu pour moi ! » On s’identifie à une pensée négative et
aussitôt déferlent toutes sortes de sentiments de désespoir. Ou
bien, avec sati-sampajañña, lorsqu’arrivent des pensées comme «
Je ne devrais pas être comme cela, je ne devrais pas penser ainsi.
Un bon moine devrait aimer tout le monde... », on en a clairement
conscience, on arrête net le flot et on revient au centre.
Il s’agit donc simplement d’être conscient de ce qui se passe.
Peu importe le nombre de fois où vous vous laissez prendre par
le cycle des pensées, un simple acte d’attention vous ramène au
centre. Ce n’est pas difficile, inaccessible ou exceptionnel. C’est
simplement que nous n’en avons pas l’habitude. Nous avons
l’habitude de tourner avec la roue, de tourner encore et encore,
et de devenir sans cesse autre chose. Voilà ce à quoi nous sommes
accoutumés : aux illusions, aux fantaisies, aux rêves – et aussi aux
extrêmes. Si nous ne sommes pas attentifs et vigilants, nous avons
tendance à fonctionner selon nos habitudes. C’est ainsi que nous
retombons toujours dans la roue qui tourne : parce que nous en
avons l’habitude. Même si nous souffrons dans cette roue, nous y
sommes accoutumés. Alors, quand nous ne sommes pas attentifs,
quand nous ne sommes pas vigilants, nous retombons facilement
dans la souffrance.
Le bon côté de la chose, c’est que lorsque nous développons
l’attention, nous cultivons de plus en plus la présence consciente,
et ces habitudes, ces choses dont nous sommes coutumiers,
commencent à se déprogrammer. Nous cessons d’alimenter les
illusions. Nous n’y croyons plus, nous ne les suivons pas, nous n’y
résistons pas non plus. Nous ne créons plus de problème autour
du corps tel qu’il est, pas plus qu’au niveau des souvenirs, des
pensées, des habitudes ou de la personnalité que nous avons. Nous
ne jugeons pas, ne condamnons pas ; nous ne faisons pas non plus
de compliments, de flatteries ou d’exagérations. Les choses sont
comme elles sont. Et, tandis que nous nous comportons ainsi, notre
identification à ces choses commence à s’effriter. Nous n’essayons
plus de trouver une identité dans nos illusions ; nous en avons fini
avec cela. Une fois que nous avons vu que le « moi », ce que nous
pensions être, est une illusion, nous ne nous intéressons plus qu’à
une chose : ce point central, là où se trouve Bouddho.
Voilà une chose en laquelle nous pouvons vraiment avoir
confiance. C’est pour cela que je ne cesse de le répéter, pour vous
encourager. Si vous y pensez intellectuellement, vous n’aurez
pas confiance et vous serez perturbé : vous entendrez différentes
personnes dire des choses différentes, vous entendrez toutes
sortes d’idées et d’opinions sur la méditation, le bouddhisme, etc.
Rien que dans cette Communauté, il y a presqu’autant d’idées et
d’opinions diverses que de moines et de nonnes ! Il s’agit donc de
parvenir à faire confiance, à être présent, attentif et conscient
au lieu de se dire : « Je ne suis pas assez bon pour me faire
confiance. Je dois d’abord développer les jhāna, je dois me purifier
moralement, je dois me débarrasser de toutes mes névroses et de
mes traumatismes avant de pouvoir vraiment méditer:” Le vrai
problème, c’est que, si vous le croyez, il va vraiment falloir que
vous en passiez par là. Mais si vous commencez à voir ce que vous
faites, à voir le piège de l’illusion du « moi », vous pouvez faire
simplement confiance à cette prise de conscience. Il ne s’agit même
pas de condamner l’illusion. Et je ne dis pas que vous ne devriez
pas purifier votre moralité, résoudre vos problèmes émotionnels,
suivre une thérapie ou développer les jhāna. Je ne parle pas de ce
qu’il « faudrait » faire ou ne pas faire. Je souligne simplement le
fait qu’il existe une chose en laquelle on peut avoir confiance et
c’est cette attention, cette présence consciente (sati-sampajañña),
ici et maintenant.
Si l’un de vous venait me trouver pour me dire : « Ajahn Sumedho,
je suis vraiment mal en point. J’ai été maltraité quand j’étais
enfant ; j’ai des névroses et des peurs. Il faut vraiment que je
suive une thérapie et que je mette de l’ordre dans tout cela parce
que, tel que je suis aujourd’hui, je ne peux pas méditer », et que
je répondais : « Oui, tu as raison, tu es vraiment mal en point. Je
pense que tu dois d’abord voir un psychologue pour te mettre
d’aplomb et ensuite tu méditeras », est-ce que cela vous aiderait ?
Au lieu de vous indiquer le point d’immobilité, ne serais-je pas en
train de perpétuer la vision que vous avez de vous-même ? À un
certain niveau, cette vision peut très bien être juste, je ne dis pas
le contraire. Mais le mieux, selon moi, c’est de ne rien dire – pas de
« tu es comme ceci ou comme cela » –, de ne vous donner aucune
identité à laquelle vous attacher, mais de vous responsabiliser, de
vous encourager à avoir confiance dans votre propre capacité à
vous éveiller, à être présent et conscient. Qu’en résultera-t-il ? Je
ne sais pas. Quelque chose de bon, j’espère. En tout cas, c’est vrai :
votre véritable identité ne dépend d’aucune condition.
On se tourne vers le présent, le paccuppanna-dhamma – mais là, on
peut encore se saisir de cette idée et se dire qu’après tout, on n’a
rien de spécial à faire. « Pas la peine d’être moine ou nonne ; pas
la peine de thérapie. Il suffit de méditer. La méditation pure et
simple va régler tous nos problèmes ». En s’emparant de cette idée,
on peut s’élever contre les religions : « Toutes les religions sont
une perte de temps. La psychothérapie est une perte de temps. On
n’en a pas besoin. Tout ce qu’il faut, c’est être attentif et méditer. »
Mais n’est-ce pas là encore une opinion ? Ce genre d’idées ne nous
mène pas au centre ; elles sont un jugement sur les conditions ou
les conventions. « Pas besoin des religions ; ce sont des salades. »
Et, même si on peut dire qu’il est vrai, sur le plan ultime, que la
seule chose à faire est de s’éveiller (aussi simple que cela !), ceci est
encore, au fond, une convention du langage.
Voilà pourquoi je vous incite, je vous encourage, à un acte
immanent, à simplement vous éveiller. Je ne dis pas que vous êtes
une personne comme ceci ou cela, que vous êtes endormi et que
vous devriez vous réveiller, ni que vous devriez vous saisir de cette
idée. Simplement sentir que vous êtes vraiment « cela ».
En Occident, nous compliquons beaucoup les choses parce
qu’en général nous n’avons pas beaucoup de saddhā – de foi ou
confiance. Les bouddhistes asiatiques, de par leur culture, ont une
grande foi dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha, ainsi que
dans leurs maîtres. Par contre, la plupart d’entre nous arrivent au
bouddhisme ou s’engagent dans la voie monastique à l’âge adulte,
un âge où la vie nous a donné l’occasion de développer scepticisme
et doute, une image de nous-mêmes très arrêtée et un fort
sentiment d’individualité. En ce qui me concerne, ma personnalité
était justement marquée par le doute et le scepticisme. Ce doute
(vicikicchā) était l’un de mes plus grands obstacle. Si je n’ai pas
pu être chrétien, c’est parce que je n’arrivais pas à croire en aux
doctrines que j’étais censé croire ; cela m’était tout à fait impossible.
J’étais quelqu’un de sceptique, qui doutait de tout. À l’âge de
trente-deux ans, j’étais même devenu franchement cynique.
J’avais traversé pas mal d’épreuves, j’étais amer, mécontent de
ma vie et déçu – déçu par moi-même et par les autres. Il y avait
une sorte de désespoir, de rancoeur et de désarroi, mais aussi une
petite lumière au bout du tunnel qui venait du bouddhisme. Il y
avait encore une chose qui me donnait de l’espoir et c’était mon
intérêt pour le bouddhisme. C’était un signe, comme si la vie avait
encore quelque chose en réserve pour moi de ce côté-là ; une sorte
de signe qui m’attirait vers la vie monastique.
Il y a tout de même une bonne chose dans le fait d’être très
individualiste, sceptique et plein de doutes, c’est que l’on remet
tout en question. Dans les religions, certaines choses sont sacrées et
jamais remises en question mais avec Ajahn Chah tout pouvait être
débattu. S’il y a une chose que j’appréciais chez lui, c’est que l’on
pouvait tout discuter. Son approche n’était jamais péremptoire, il
n’aurait jamais dit : « Il faut croire en ceci et il faut croire en cela ».
Ses manières n’avaient rien de fort, de dur ou de dictatorial. Il
nous orientait plutôt vers un questionnement et une investigation
réflective.
L’un des problèmes avec nous, les Occidentaux, c’est que nous
sommes compliqués à cause du manque de foi et de confiance.
Notre personnalité devient infiniment compliquée et extrêmement
personnelle ; nous prenons tout personnellement. Le désir sexuel et
les énergies sexuelles du corps sont considérés comme personnels.
Même chose pour la faim et la soif : nous nous identifions à la
faim. Nous nous approprions des énergies fondamentales tout
à fait naturelles et nous les jugeons personnellement : « Je ne
devrais pas être peureux, faible et pusillanime. » Nous sommes
très compliqués parce que nous ne cessons de nous juger, de nous
critiquer en nous comparant à des idéaux très élevés, très nobles
qu’il nous est impossible d’atteindre. Nous développons beaucoup
d’autocritique, de névroses et de dépressions parce que nous ne
sommes pas en contact avec la nature. Nous partons du monde des
idées au lieu de prendre conscience des lois de la nature.
Donc, en méditation, il s’agit de reconnaître « ce qui est », le
Dhamma, la loi de la nature, les choses telles qu’elles sont : « Le
désir sexuel est ainsi, il n’a rien de personnel ; le corps est ainsi,
il a des organes sexuels, il est fait ainsi, donc il va avoir ce type
d’énergie ; ce n’est pas personnel ; ce n’est pas quelque chose
que j’ai fabriqué ».” Nous commençons à regarder les choses les
plus basiques, le corps humain, en termes de « ce qui est » au
lieu de nous identifier personnellement à lui. La faim et la soif
sont « ce qui est ». Nous investiguons les énergies fondamentales
qui relèvent de l’instinct de survie. Nous avons de forts instincts
de survie et de procréation : la faim et la soif, le besoin de nous
protéger, le besoin de sécurité. Nous avons tous besoin de nous
sentir physiquement protégés – c’est un instinct de survie que
l’on retrouve dans tout le monde animal, pas seulement chez les
humains. Pour nous, c’est plus compliqué parce que nous nous
identifions et nous jugeons ces ressentis selon des normes et
des idéaux très élevés. Alors, nous développons des névroses qui
dévastent tout et nous ne pouvons plus rien faire de bon. Voilà
le genre de complications que nous créons dans notre vie et qui
crée beaucoup de confusion.
Maintenant, il est temps de voir qu’il n’est pas nécessaire de
considérer les choses ainsi. Même si elles paraissent compliquées,
la pratique, elle, est très simple. Par contre, il va nous falloir
beaucoup de patience parce que, quand on est très compliqué, on
manque souvent de patience envers soi-même. Notre esprit est vif,
il pense très vite et nous avons des émotions fortes – il est facile de
se perdre dans tout cela. C’est très perturbant pour nous parce que
nous n’avons pas le mode d’emploi, nous ne voyons pas la porte de
sortie, nous ne savons pas comment transcender les choses ni les
mettre en perspective.
En vous montrant le point central, ce point immobile, je vous
montre une façon de transcender, d’échapper à tout cela. Il ne
s’agit pas d’une fuite motivée par la peur mais d’une échappatoire
qui nous permet de mettre en perspective tout ce fatras, toute
cette confusion autour de ce « moi » compliqué que nous avons
fabriqué et auquel nous nous sommes identifiés.
C’est très simple, pas compliqué du tout mais, si on commence à y
penser, on peut tout embrouiller. On se dira peut-être : « Je ne sais
pas si j’en suis capable ou « Je ne crois pas que je puisse réaliser
le nibbāna (la libération des attachements) » mais c’est justement
là qu’intervient la confiance. Si vous voyez que ce doute est une
perception dans le présent, seulement une perception dans le
présent, faites confiance à cette prise de conscience. C’est tout ce
que vous avez besoin de savoir. Cette perception est seulement
ce qu’elle est. On ne la juge même pas ; on ne dit pas : « Quelle
perception stupide ! » On n’ajoute rien.
Une prise de conscience, voilà ce dont je parle : une claire
compréhension de la réelle nature des choses. Apprenez à faire
confiance à ce regard sur les choses au lieu de croire ce que dit
la perception. Cette perception peut refléter un certain bon
sens mais, si vous vous y attachez, vous êtes perdu. « Je devrais
pratiquer la méditation. Je ne devrais pas être égoïste et je devrais
apprendre à être plus discipliné et plus responsable de ma vie. »
Voilà de bons conseils mais, si on s’y attache, que se passe-t-il ?
On va recommencer à se dire : « Je ne suis pas assez responsable
; je dois devenir plus responsable. Je suis trop égoïste ; je ne
devrais pas l’être ». Et on se retrouve à tourner en rond. Même
le meilleur conseil nous pétrifie. Que faire ? Avoir confiance dans
cette prise de conscience. On pense : « Je devrais être responsable
» et on a conscience de cette pensée – ce n’est qu’une pensée, l’on
ne s’en saisit pas. Si effectivement on sent, on fond de soi, qu’il
serait bon d’être plus responsable, très bien, on s’efforce de l’être.
Il ne s’agit pas de nier, d’effacer ou de condamner la réalité, pas
plus que de croire aveuglément ce que disent les pensées. Il s’agit
d’avoir confiance dans notre capacité à être attentifs, présents et
conscients, au lieu de tout le temps essayer d’arranger les choses
dans la roue tournante des pensées et des habitudes qui nous
donne le vertige et crée tant de confusion.
Le point immobile nous donne une perspective sur les situations,
sur la roue des pensées, sur la confusion, sur le chaos. Nous
sommes face à tout cela et nous sommes conscients de la réelle
nature des choses au lieu de nous y identifier. Nous voyons alors
que c’est là notre véritable nature : c’est cette connaissance, cet
état pur, cette conscience pure, cette compréhension pure. Nous
apprenons à nous souvenir de cela, à être pleinement cela – notre
véritable demeure. C’est cela que nous sommes, pas ce que notre
esprit conditionné nous fait croire que nous sommes.
54


3 QUAND ON EST UNE
ÉPAVE ÉMOTIONNELLE


Nous sommes à présent dans une situation idéale de retraite
spirituelle, où tout est sous contrôle et parfaitement conforme
à notre idée d’une bonne vraie retraite. Par contre, la semaine
prochaine, il y aura beaucoup d’allées et venues, beaucoup
d’événements que nous ne pourrons pas contrôler. Soyez
simplement conscients de vos attentes, de votre idée de ce que doit
être une retraite formelle. Quelles que soient les opinions que vous
pouvez avoir, voyez-les pour ce qu’elles sont. Si vous ressentez
irritation, frustration ou aversion, utilisez tous ces ressentis dans
votre méditation. Le plus important est de voir clairement que «
les choses sont comme elles sont ». N’essayez pas de refouler ou
d’ignorer ce que vous ressentez ; ne soyez pas non plus perturbés
ou furieux si tout ne se passe pas selon vos désirs car, ce faisant,
vous négligeriez une bonne occasion d’observer « ce qui est ».
Si on est perturbé par une situation qui se présente, pourquoi ne
pas utiliser ce ressenti ? Cela fait partie de la méditation. Dans
n’importe quelle retraite, il peut arriver que certaines choses
ne nous plaisent pas. Comme cette fenêtre dans le temple dont
le moteur électrique, qui permet de l’ouvrir et de la fermer, ne
fonctionne pas. Vive le progrès ! On pourrait utiliser une longue
perche ou suspendre des cordes à noeuds aux poutres et apprendre
à y grimper pour ouvrir et fermer les fenêtres – ce serait un bon
exercice physique ! Et puis, il y a eu le projecteur qui ne s’allumait
plus... J’ai remarqué que, lorsque les choses vont de travers, que des
objets se cassent ou qu’une situation me cause de la frustration ou
de l’irritation, j’aime utiliser ces événements. Si la fenêtre refuse
de se fermer et que le projecteur refuse de s’allumer, j’observe mes
réactions. Je prends conscience de mon désir que le projecteur –
ou la fenêtre ou quoi que ce soit – ne soit pas cassé ; mon désir de
faire réparer cela au plus tôt : « Quelqu’un pourrait venir régler le
problème dès maintenant, pendant la pause, et cela ne dérangerait
pas notre méditation ».” Le plus important, dans cela, c’est d’en
être conscient. La concentration peut être perturbée par des
facteurs extérieurs mais la pleine conscience, si l’on se fie à elle,
nous ouvre au mouvement de la vie comme à une expérience qui
peut inclure aussi bien le plaisir que la douleur.
Je reviens donc toujours à sati-sampajañña (pleine conscience,
aperception ou conscience intuitive) pour que vous puissiez
vraiment sentir la différence qui existe entre la conscience
intuitive et la pensée analytique qui, elle, part du désir d’obtenir
quelque chose ou de s’en débarrasser et d’un besoin de contrôler
les situations. Si on est prisonnier du processus de la pensée, on
finit toujours par se dire : « Les choses devraient être comme ceci ;
elles ne devraient pas être comme cela » ou « Ceci est juste et cela
est faux » ; on pourra même dire : « Le bouddhisme est juste ; les
enseignements du Bouddha sont bons ».” On va alors s’attacher à
l’idée que les enseignements du Bouddha sont justes et bons et, si on
n’a pas assez de sati-sampajañña, on va devenir un bouddhiste qui
croit qu’il est dans le vrai parce qu’il suit les bons enseignements.

57


Ainsi, la conséquence de cet attachement à la façon dont nous
percevons les enseignements du Bouddha, peut nous faire devenir

des bouddhistes pleins de suffisance qui considèrent que toutes les
autres formes de bouddhisme qui n’entrent pas dans ce que nous
estimons juste sont automatiquement erronées ou que les autres
religions sont fausses. C’est ainsi que fonctionne la pensée qui se
cache derrière les opinions d’autosatisfaction. Voyez comme c’est
limitant, d’autant qu’ensuite, nous sommes piégés par de telles
pensées et de telles perceptions.
Il s’agit souvent de perceptions négatives de nous-mêmes
auxquelles nous nous attachons, persuadés qu’elles sont vraies.
Aperception signifie « conscience de la perception ». La perception
que j’ai de moi-même, la perception du bouddhisme comme étant
juste, ne sont que cela : des perceptions. « Les enseignements du
Bouddha sont justes » : cette pensée apparaît puis disparaît et
ce qui reste est « ce qui est ». Au fond de nous, il y a toujours la
conscience, la présence, l’intelligence. Elles sont pures mais ce
n’est pas « ma pureté », ce n’est pas un accomplissement personnel,
c’est naturellement pur.
Voyez que cela concerne aussi bien le corps que les émotions et
l’intellect. C’est comme le Noble Octuple Sentier : sīla, samādhi,
paññā (vertu, concentration et sagesse). Sati-sampajañña inclut
tout, donc le corps est compris. On ne rejette pas l’état physique
actuel qui comprend l’aspect émotionnel et le corps, quelle que
soit la condition dans laquelle il se trouve : sain ou malade, fort
ou faible, masculin ou féminin, jeune ou vieux, peu importe. Il ne
s’agit pas de souhaiter que le corps soit comme ceci ou comme cela
mais de l’inclure tel qu’il est, ici et maintenant. L’aperception est la
capacité à englober ce qui est. En cet instant, le corps « est », c’est
mon ressenti : le corps est ici et je le sens.
La pleine conscience inclut donc aussi tous les états émotionnels,
quels qu’ils soient. Que l’on soit heureux ou triste, euphorique
ou déprimé, assuré ou désorienté, confiant ou inquiet, jaloux ou
effrayé, avide ou concupiscent, la pleine conscience englobe tout
cela, mais simplement en prenant note de ce qui est, de manière
non critique. On ne dit pas : « Je ne devrais pas être concupiscent »,
on ne pose pas de jugements moraux, parce qu’on observe les
choses avec sati-sampajañña. Si on est prisonnier de sa tête,
de son intellect, les pensées diront : « Oh, j’ai des pensées de
concupiscence dans la salle de méditation, je ne devrais pas. Je ne
suis pas un bon moine. Je suis impur. » Nous sommes très attachés
à ces jugements, à ce fonctionnement critique que nous avons.
Mais sati-sampajañña inclut aussi le jugement. On ne juge pas le
jugement. On prend simplement conscience du super-ego vertueux
et tyrannique qui dit : « Tu ne devrais pas être comme tu es. Tu ne
devrais pas être égoïste. Tu devrais avoir plus de compassion et de
gentillesse », etc. « Le Bouddhisme est dans le vrai... Tu n’avances
pas dans ta pratique... » Sati-sampajañña englobe tout cela. On
se contente de voir ce qui est. On peut écouter son intellect, son
super-ego, ses états émotionnels et son corps en disant : « Je suis
conscient de cela. Je vous connais. » Il s’agit simplement d’être
patient avec ces réactions, de ne pas essayer de les contrôler ni
d’en faire un problème. En nous détendant, en nous ouvrant à tout
cela, nous permettons aux choses de changer d’elles-mêmes. Elles
ont leur propre force karmique et nous leur laissons une chance
de continuer leur chemin. Nous ne cherchons pas à nous réfugier
dans les pensées, les émotions ou le corps. Notre refuge est cette
simple capacité à écouter, à être attentifs maintenant, à cet instant.
Ma pratique consiste toujours à écouter le son du silence – cette
résonance intérieure, subtile et continue qui est la toile de fond de
toutes nos expériences – parce que, chaque fois que j’ouvre mon
esprit, c’est ce que j’entends : le son tout seul, ou bien combiné
avec l’esprit pensant. Ils n’arrivent pas en séquence suivie – A, B,
C – ni en tandem mais juste comme ils sont, globalement. Tout est
inclus ; il n’y a pas de choix ni de préférences : « Je veux ceci mais
pas cela ».” On observe, tout simplement. Et puis on fait confiance
et on apprécie cette capacité qui est à la disposition de tout un
chacun. C’est un don précieux à préserver et développer.
On peut réfléchir à l’intuition, la voir comme le point qui inclut,
qui englobe tout. Nous avons à la fois cette intuition et le pouvoir
de penser qui, lui, exclut, de même que la concentration sur
un objet unique : on fixe son attention sur un seul point pour
exclure les distractions. Par contre, quand on utilise la conscience
intuitive, celle-ci inclut tout ce qui est présent. Le point unique que
l’on perçoit grâce à la concentration de l’attention n’est qu’une
perception, n’est-ce pas ? Littéralement, cela signifie que l’on
exclut tout ce qui n’est pas dans ce point. C’est la façon rationnelle
et logique de considérer les choses. La pensée logique nous fait
interpréter la concentration sur un point unique comme quelque
chose qui exclut. Quant à l’intuition, elle est non-verbale et au-
delà de la pensée, de sorte que le point est partout, il inclut tout.
Cela, c’est sati-sampajañña, sati-paññā, des mots que le Bouddha
a utilisés pour décrire la voie qui mène au-delà de la mort. C’est
pourquoi on ne peut y accéder par la pensée ou l’analyse, par
des définitions ou par l’acquisition de tout le savoir contenu
dans l’Abhidhamma Pitaka5, les sutta (discours du Bouddha) en
devenant un expert du bouddhisme. On peut acquérir beaucoup
de connaissances mais on ne « connaît » pas. C’est comme savoir
tout ce qu’il y a à savoir sur le miel sans y avoir jamais goûté :
connaître les formules chimiques, les différentes propriétés, leur
valeur respective, lequel est considéré comme le meilleur, le plus
doux, le plus ordinaire... savoir tout cela sans connaître la saveur
5. Étude analytique du Canon pāli.

d’aucun miel. Aucune image, aucune représentation ne vous
donnera le goût du miel. Mais, si vous goûtez au miel, ensuite vous
savez intuitivement quel est son goût : le miel est ainsi.
Paññā, la sagesse, vient de l’intuition, pas de l’analyse. On peut
tout savoir sur le bouddhisme et pourtant ne faire preuve d’aucune
sagesse dans la vie. J’aime vraiment beaucoup ces combinaisons
de mots sati-paññā et sati-sampajañña, comme vous avez dû le
remarquer ! Sati-sampajañña ne s’apprend pas, ne s’acquiert pas.
C’est quelque chose qui s’éveille et on apprend à faire confiance à
cet éveil, on devient de plus en plus attentif à la vie. On ne peut pas
acquérir sati-sampajañña seulement en étudiant le sens de ce mot
ou en essayant de l’obtenir par la volonté. C’est un acte immanent
de confiance dans l’inconnu parce qu’on ne peut pas s’en saisir.
Les gens demandent souvent : « Définissez ce mot, décrivez-le moi,
dites-moi si je possède cette qualité ».” Personne ne peut vous dire
: « Oui, je crois que vous l’avez, vous avez l’air tout à fait présent
en ce moment ».” Beaucoup de personnes qui ont l’air d’être
attentives et présentes ne le sont pas du tout. L’idée n’est pas de
s’entendre dire que l’on est attentif ni d’obtenir toutes les bonnes
définitions des mots mais de reconnaître, de prendre pleinement
conscience de la réalité de cette « compréhension globale » et de lui
faire confiance.
Autrefois, du fait de mes antécédents d’étudiant, je m’amusais à
tester tout cela. J’avais été tellement conditionné par toutes les
années passées à l’université que je voulais tout définir et tout
comprendre par l’intellect. En fait, j’étais toujours dans le doute
parce que, plus j’essayais de comprendre les choses (je suis très
doué pour me représenter les choses clairement) moins j’étais
sûr d’avoir bien compris car le processus de la pensée n’apporte
aucune certitude. Il est clair et net mais il n’a rien de libérateur
en lui-même. L’aspect émotionnel est plutôt embrouillé – avec les
émotions, on peut pleurer, se sentir triste, désolé, coléreux, jaloux
et toutes sortes de sentiments confus – tandis qu’un bon système de
référence intellectuel est très agréable parce qu’il est toujours net
et carré. Pas de confusion, pas de sentiments poisseux, larmoyants,
détrempés... mais pas de sentiments du tout non plus ! Quand nous
sommes pris par l’intellect, il nous happe et nous éloigne de notre
ressenti ; ensuite, du fait que notre vie émotionnelle ne fonctionne
plus, nous la refoulons parce que nous nous attachons à la pensée,
à la raison et à la logique. Elles ont leurs vertus et leurs joies
mais elles peuvent aussi nous ôter toute sensibilité. Les pensées
n’ont aucune capacité sensible, n’est-ce pas ? Ce ne sont pas des
facteurs sensibles.
L’un des idéaux dont nous pourrions parler est « tout est amour »
ou le concept de compassion universelle. Les mots en eux-mêmes
n’ont aucun moyen de ressentir cette émotion – qu’il s’agisse de
compassion ou de quoi que ce soit. Quand nous nous attachons à
un idéal, même s’il s’agit du plus beau et du plus parfait idéal, notre
attachement nous aveugle. Nous pouvons parler de la façon dont
nous devons nous aimer les uns les autres, avoir de la compassion
pour tous les êtres sensibles et, concrètement, ne pas être capable
de le pratiquer, de le ressentir ni même de nous en apercevoir.
Si on va vers le coeur, là où règne souvent la mollesse, l’absence de
clarté et de netteté que l’on trouve dans l’intellect, on va trouver
des émotions partout. L’intellect dira alors : « Oh, toutes ces
émotions sont tellement confuses. On ne peut pas s’y fier ».” On est
embarrassé : « C’est gênant. Je ne veux pas être considéré comme
quelqu’un de sensible – ‘Ajahn Sumedho est très émotif’. Ah, non !
Je ne veux pas que les gens pensent cela de moi. Je suis quelqu’un
de raisonnable. » Voilà ce que je voudrais que l’on pense de moi
: « Ajahn Sumedho est intelligent, raisonnable et gentil ».” Mais
dire qu’Ajahn Sumedho est sensible ou émotif me fait passer pour
quelqu’un de faible, de larmoyant, n’est-ce pas ? Ajahn Sumedho
est émotif. Il pleure, il sanglote, il est larmoyant. Il met de l’émotion
partout. Beurk ! »” Par contre, si vous pensez qu’Ajahn Sumedho
est quelqu’un de très présent et conscient – j’en suis ravi ! Quand
on adopte ce genre d’attitude, les émotions sont simplement
ignorées ou rejetées au lieu d’être observées. Nous n’apprenons
rien d’elles parce que nous passons notre temps à les repousser ou
à les nier. Pour ma part, j’ai pu constater que c’est ce que j’avais
tendance à faire.
Avec sati-sampajañña, au contraire, c’est comme si l’on s’ouvrait
et que l’on autorisait la confusion. Que ce soit confus, s’il faut en
passer par là : « la confusion est ainsi ». C’est peut-être se retrouver
larmoyant, faible, émotif, stupide, ridicule mais c’est ainsi. Sati-
sampajañña inclut tout cela sans juger, sans essayer de maîtriser,
de garder ceci ou d’éliminer cela. Nous observons simplement que
c’est ainsi. Si l’émotion qui se présente est ainsi, c’est ainsi.
Revenons à ce point qui inclut tout. Voyez qu’il s’agit
nécessairement de l’ici-et-maintenant (paccuppanna-dhamma).
On se branche simplement sur cette forme d’attention imminente.
Cela implique un léger déplacement de l’attention, très peu de
choses : on se détend et on s’ouvre à ce présent, on écoute, on
est attentif. Il ne s’agit pas d’entrer dans une espèce de samādhi
(concentration) exceptionnellement profond, pas du tout. C’est
simplement ce qui est, maintenant – vraiment pas grand-chose,
en apparence. Ensuite, lorsque vous vous détendez et vous vous
reposez avec confiance dans cette présence, vous découvrez
qu’elle arrive à se maintenir d’elle-même. C’est quelque chose de
naturel que vous n’avez pas fabriqué et que vous n’êtes pas en
train de retenir. Dans cette ouverture, dans ce point unique qui
inclut tout, vous pouvez prendre conscience d’émotions dont
vous ne tenez pas compte d’ordinaire, comme un sentiment de
solitude ou de tristesse, ou quelque chose de plus caché comme le
ressentiment ou la déception. Les émotions extrêmes sont faciles
à voir car elles s’imposent à notre attention mais, plus on s’ouvre,
plus on a conscience d’émotions subtiles. Cependant, on ne juge
pas, on accueille, de sorte que l’on ne crée pas de problèmes par
rapport à ce qui est ; on en est simplement conscient : c’est ainsi ;
en ce moment, les vedanā-saccā-sankhāra (ressentis, perceptions
et formations mentales) sont ainsi et rūpa (le corps) est ainsi.
Observez ce qui se passe quand vous vous ouvrez à des émotions
ou à des humeurs sans les juger, sans en faire un problème, quelles
que soient leurs connotations émotionnelles ou physiques, en
apprenant à les accueillir, à soutenir l’attention, en les maintenant
en place sans essayer de vous en débarrasser, de les changer ou
d’y réfléchir. Vous acceptez totalement ce qui vous habite –
l’humeur, l’état émotionnel ou les sensations physiques comme la
douleur, les démangeaisons ou les tensions de toutes sortes – avec
un sentiment de bien-être, disposé à accueillir ce qui est. Quand
j’agis ainsi, j’ai conscience du changement. Quand on accepte de
laisser les choses être telles qu’elles sont, elles changent. C’est
alors que l’on commence à reconnaître ou à comprendre le non-
attachement. On dit de sati-sampajañña qu’il englobe tout, de sorte
qu’il n’y a pas d’attachement mais une ouverture, un sentiment
d’élargissement qui inclut tout. On ne choisit pas, on ne prend pas
le bon pour laisser le mauvais. Le mauvais vient avec le bon, le ver
avec la pomme, le serpent avec le jardin. Sati-sampajañña permet
aux choses d’être ce qu’elles sont mais cela ne signifie pas que
tout est bon, qu’il faut aimer les vers et vouloir en trouver dans
vos pommes ni qu’il faut les aimer autant que les pommes. Il ne
s’agit pas d’être stupide, ridicule ou impossible mais de permettre
aux choses d’exister, même celles que nous ne voudrions pas
voir exister parce que, si elles existent, elles existent. Tout est
inclus : le bon et le mauvais font partie du tout. Sati-sampajañña
est notre capacité à comprendre cela, à savoir cela de manière
directe ; ensuite, les processus s’enchaînent d’eux-mêmes. Ce n’est
pas qu’Ajahn Sumedho essaye de se prendre en main, de purifier
son esprit, de se libérer des pollutions mentales, de gérer ses
émotions immatures, de redresser sa vision des choses erronée et
tortueuse ; il n’essaie pas de devenir un meilleur moine pour
trouver l’éveil dans le futur. Cela ne fonctionne pas, je vous le
garantis – j’ai essayé !
À partir de là, on peut utiliser les upāya ou « moyens habiles » pour
faire face aux différentes situations qui se présentent. Bien sûr, on
pourrait dire : « Soyez simplement attentif à tout » et c’est vrai,
ce n’est pas faux, mais parfois certaines choses nous obsèdent ou
semblent nous menacer. Dans ce cas, il est bon de développer des
moyens habiles. Ajahn Chah m’a beaucoup encouragé dans ce sens
et il faut de la sagesse pour cela, vous savez. J’ai utilisé paññā, la
sagesse, simplement pour voir comment j’affrontais les situations,
en particulier les états émotionnels, les réactions émotionnelles
renforcées par l’habitude. On peut faire des expériences, il ne
faut pas craindre de se tester soi-même. Voyez ce qui se passe
en dramatisant les choses ou en vous ouvrant à quelqu’un
qui veut bien vous écouter, ou encore en y réfléchissant de
manière délibérée.
L’un de mes moyens habiles consistait à écouter mes pensées
comme si elles étaient des voisins qui bavardent de l’autre côté
de la haie : je suis un simple passant qui écoute ces conversations.
Tous ces ragots, ces opinions et ces jugements viennent de mon
esprit mais je me contente de les écouter. Je ne suis pas engagé,
je ne m’intéresse pas au sujet débattu ; j’écoute simplement ces
bavardages interminables sur des attirances et des aversions, sur
les défauts de telle ou telle personne, pourquoi je préfère ceci à
cela, mon opinion sur un certain sujet... J’écoute simplement ces
voix intérieures, ces voix idiotes, prétentieuses, arrogantes et
entêtées qui ne s’arrêtent pas et je choisis de suivre le conseil
d’une autre voix intérieure qui me dit : « Sois conscient de ce
qui est conscient et sois attentif : prends note de ce qui est
conscient. » C’est cette conscience qui est mon refuge, pas ces
ragots ni ces voix méprisantes et ces opinions arrêtées. Voilà
un moyen habile que j’ai trouvé. Nous pouvons apprendre à
nous entraider simplement en écoutant. Apprendre à écouter
quelqu’un, c’est développer une relation et non prêcher ou
essayer de dire aux autres comment ils doivent pratiquer et quoi
faire. Parfois, tout ce qu’il y a à faire, c’est apprendre à écouter
quelqu’un d’autre avec notre propre sati-sampajañña, pour que
la personne ait l’occasion de verbaliser ses peurs et ses désirs
sans être jugée ni accablée de toutes sortes de conseils. Voilà des
moyens particulièrement habiles. Certaines formes de thérapie
peuvent être considérées comme des moyens habiles qui nous
aident à faire face à ce qui est généralement considéré comme un
problème émotionnel. Là où nous avons tendance à être le plus
aveugle et le moins évolué, c’est dans le domaine émotionnel.
Upāya (les moyens habiles) nous permettent de voir que nous
avons en nous la sagesse de faire ce qu’il faut. Si vous vous dites : «
Je ne suis pas assez sage pour y arriver », surtout ne croyez pas cette
pensée ! Et n’ayez pas peur, non plus, de demander de l’aide. Ce
n’est pas que l’un soit meilleur que l’autre, ayez confiance en votre
expérience de la souffrance. Si vous trouvez que vous êtes obsédé
par quelque chose, vous verrez soudain que cela va effectivement
envahir votre conscience, des souvenirs vont remonter à la
surface, certaines émotions ou des petites choses vraiment bêtes,
des pensées idiotes vont vous poursuivre. Vous pourrez toujours
dire : « Je ne veux pas m’inquiéter de ces bêtises, je vais continuer à
essayer d’entrer en samādhi (concentration), de m’emplir d’amitié
bienveillante et de faire tout ce qu’il y a de bien à faire » – mais
vous serez aveugle à la réalité. Vous essayez de devenir autre
chose, de correspondre à une image irréelle, imaginée, idéalisée.
Ce n’est certainement pas ce que le Bouddha attendait de nous.
Quelle que soit la forme que prenne votre vie, elle est ce qu’elle
est ; c’est de cela que vous allez apprendre, c’est là que se trouve
l’éveil, ici même, quand vous êtes une épave émotionnelle.
68


4 LA SOUFFRANCE DEVRAIT
ÊTRE ACCUEILLIE


L’un des qualificatifs que nous donnons au Bouddha dans nos
récitations est lokavidū (celui qui connaît le monde). Bien sûr,
c’est une qualité du Bouddha mais il existe quelque chose de plus
concret que chanter les vertus de quelqu’un appelé « Bouddha » :
c’est réfléchir à ce qu’est le monde, notre monde, c’est-à-dire
la situation que nous vivons en ce moment. Ceci implique une
contemplation ou une réflexion sur la vie telle que nous la vivons
et non une description de la vie telle qu’elle « devrait » être. Si on
est rationaliste, on a toutes sortes de théories sur la façon dont
les choses devraient être mais, dans la conscience réflective, on se
contente de voir les choses telles qu’elles sont.
Quand on a conscience de la respiration, on constate simplement : le
souffle est ainsi. On ne dit pas qu’il faudrait respirer d’une certaine
façon, qu’il y a une façon idéale de respirer vers laquelle nous
devrions tous tendre. Nous contemplons notre vécu et les mots
arrivent : « La sensibilité est ainsi ».” Quand nous commençons à
remarquer le fait que le corps humain, ce corps que nous habitons –
avec ses yeux, ses oreilles, son nez et sa bouche – est sensible et que
la sensibilité est « ainsi », nous tournons le regard vers l’intérieur.
Que veut dire être sensible ? Nous observons et remarquons ce que
signifie ressentir, voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser et
se souvenir. Nous pouvons avoir une idée de ce que signifie être
sensible – « ma » sensibilité – ou bien nous pouvons essayer de
nous rendre insensibles parce que nous considérons la sensibilité
comme une faiblesse. Pour certaines personnes, être trop sensible
est signe de faiblesse. Mais là, nous ne portons aucun jugement sur
la sensibilité, nous remarquons simplement qu’elle est ainsi.
Tandis que nous observons le monde dans lequel nous vivons,
l’environnement – ce qui est – nous découvrons qu’il nous mène
vers une simple reconnaissance de la nature impermanente de
notre expérience consciente, la façon dont les choses apparaissent
et disparaissent, commencent et finissent. C’est cela « connaître le
monde » : ne pas le juger à partir de certaines valeurs mais le voir
tel qu’il est, ainsi... et notre monde est sensible. Il nous parle de la
vie et de la mort, de rencontres et de séparations, d’arrivées et de
départs, de bon et de mauvais, de juste et de faux, de beauté et de
laideur, et de tous les différents degrés d’expérience et de qualités
auxquels nous sommes sujets dans cette enveloppe humaine.
Même si cela ressemble à une évidence, quand on en prend
conscience, combien de gens considèrent réellement le monde
comme un champ d’expérience ? Généralement nous l’interprétons
de manière personnelle. Le schéma habituel consiste à tout
interpréter en termes de limitations personnelles, de ressentis
personnels ou d’idées personnelles. Or, en voyant le monde tel qu’il
est, nous comprenons qu’il n’est pas personnel. Une « personne »
est une création de l’esprit qui nous attache et nous limite si nous
ne nous réveillons pas. Si nous nous contentons de fonctionner
selon notre conditionnement émotionnel, nous interprétons
les choses : « Voilà ce qui m’arrive en ce moment » ou « Je suis
quelqu’un de bon / de mauvais... »

Il est très important de reconnaître et de savoir que le monde est
ainsi. C’est une expérience très forte car avoir un corps humain,
c’est vivre presque constamment avec un sentiment d’irritation.
Voyez ce qui anime la conscience d’une forme comme le corps
humain qui est constitué des quatre éléments : la terre, l’eau,
le feu et l’air. De la naissance à la mort, depuis l’instant où l’on
naît, l’instant où l’on pleure en sortant du ventre de sa mère,
on commence à pleurer. Ensuite la sensibilité, les contacts et les
irritations arrivent par l’intermédiaire de ce corps, de cette forme
dotée d’un système nerveux sensible, jusqu’à ce qu’elle meure. Je
vous encourage à contempler ce qu’est la naissance dans ce monde
au lieu de l’évaluer en fonction d’idées ou d’idéaux que vous pouvez
avoir. Voilà ce que l’on appelle un état de conscience éveillée. «
S’éveiller » signifie connaître le monde tel qu’il est ; ce n’est pas
juger le monde. Si nous avons des idées sur la façon dont le monde
devrait être, notre esprit critique va conclure : « Cela ne devrait
pas être ainsi ».” Quand on se dit que les pays, les gouvernements,
les parents, les conjoints... devraient être comme ceci ou comme
cela, on compare la réalité à un idéal, à une idée très élevée qui
commence par : « Si tout était parfait... » Mais la perfection de
cette sphère d’existence ne consiste pas à élever notre vécu à un
instant de perfection. Les instants de perfection ne sont rien de
plus que cela : merveilleux, d’une certaine manière, mais ils ne
durent pas. Le flux et le mouvement de notre vie tournent autour
du changement inhérent à ce monde conditionné qui nous affecte,
dans lequel nous sommes engagés, immergés, dans cette forme, ce
corps-esprit doté de conscience.

Observez comme le simple fait de voir, d’entendre, de goûter,
de sentir et de toucher peut créer de l’irritation. Il y a toujours
quelque chose qui ne va pas tout à fait bien. Il fait trop froid ou
trop chaud ; on a mal à la tête ou au dos ; il y a trop de bruit, une
mauvaise odeur... Tout cela entre en contact avec cette forme et
nous permet de faire l’expérience de sa beauté, de sa laideur, du
plaisir et de la douleur. Mais le plaisir lui-même est irritant quand
on y pense. Nous apprécions les sensations de plaisir mais, quand il
y en a trop, cela peut aussi être très fatigant et énervant. Il ne s’agit
pas de critiquer mais simplement de remarquer le fait qu’avoir un
corps humain implique tout cela – c’est ainsi. Respirer est ainsi ;
être conscient est ainsi.
Voyez simplement à quel point nous sommes sensibles aux paroles
et aux pensées. Quelqu’un va dire quelque chose sur un certain
ton et tout le monde va en être perturbé. Certains mots peuvent
aussi causer beaucoup de peine. On peut également se souvenir
d’événements passés, agréables ou désagréables. On peut être
obsédé par des regrets ; ressentir beaucoup de culpabilité, de
remords ou de colère contre soi-même à cause d’erreurs, d’échecs
ou de mauvaises actions commises dans le passé dont nous nous
souvenons maintenant. On peut être vraiment névrosé lorsque,
dans l’instant présent, on est complètement obsédé par quelque
chose que l’on n’aurait pas dû faire vingt ans plus tôt. On peut
se laisser aller à des états de profonde dépression et de véritable
désespoir.
Naître dans une forme humaine est un vrai défi : comment faire le
meilleur usage de cette naissance, de cette expérience humaine,
de cet état sensible dans lequel nous vivons ? Certaines personnes
envisagent le suicide « pour en finir » ; c’est trop dur à supporter,
intenable, toute une vie d’irritation constante, de culpabilité,
de remords et de peur de l’inconnu. C’est parfois tellement
affreusement déprimant que l’on pense qu’il vaut mieux se suicider.
Ou alors, comme le Bouddha nous y encourage, nous pouvons
nous éveiller à cette vie, apprendre d’elle, la voir comme un défi,
comme une occasion de nous instruire. Nous pouvons développer
la sagesse en fonction des circonstances et des expériences que
cette vie nous apporte – qui ne sont pas nécessairement les plus
favorables. Beaucoup parmi nous ont dû subir toutes sortes de
frustrations, de déceptions, de désillusions et d’échecs. Bien sûr,
si nous prenons cela personnellement, nous voulons en finir au
plus vite. Mais, si nous replaçons les choses dans le contexte d’un
apprentissage du monde tel qu’il est, nous pouvons tout encaisser.
Nous avons une incroyable capacité à apprendre, même des
situations les plus injustes, terribles, douloureuses ou révoltantes.
Rien de cela ne peut empêcher l’éveil. La vraie question est : allons-
nous utiliser ces situations pour nous éveiller – ou pas ?
Certains pensent qu’un bon karma c’est avoir la vie facile, naître
dans une famille aisée, une classe sociale élevée, être beau et
intelligent, et avoir tout ce qu’il y a de bien et de bon dans ce
monde. C’est le résultat de mérites, de pāramī (vertus), etc. Mais
quand je considère ma vie, plutôt bénéfique à la naissance, je
peux dire que j’ai connu des défis incroyables qui m’ont secoué,
qui m’ont vraiment perturbé et déçu au point d’envisager le
suicide – « Je veux en finir. Je ne veux pas continuer à vivre encore
es années et des années dans ce monde. Je n’en peux plus ».”
Pourtant, en m’éveillant à cela, j’ai réalisé que j’étais prêt à
accepter ce que la vie m’offrait et à apprendre de chaque
chose. C’est cela le vrai défi : voir chaque situation comme une
occasion qui nous est offerte en tant qu’êtres humains, en tant
qu’êtres conscients.


Les enseignements du Bouddha sont orientés précisément dans ce
sens. Ils sont là pour nous éveiller et non pour nous conditionner. Il
ne s’agit pas de s’en accaparer, d’en faire des doctrines auxquelles
on s’attache, mais de les utiliser comme des moyens précieux
pour développer et encourager la conscience éveillée, l’attention,
l’intuition. Au lieu de craindre notre sensibilité, nous y ouvrir
: être pleinement sensibles plutôt qu’essayer de nous protéger
indéfiniment de souffrances ou de malheurs possibles.
Connaître le monde pour ce qu’il est ne signifie pas se résigner, au
sens négatif du terme – « Oh, vous savez comment est le monde,
n’est-ce pas ! » – comme s’il était mauvais, comme s’il ne tournait
pas rond. Cela, ce n’est pas connaître le monde tel qu’il est.
Connaître, c’est étudier, s’intéresser, investiguer et examiner ce
qui se passe et être vraiment prêt à affronter et ressentir l’aspect
négatif de vos expériences vécues. Il ne s’agit pas de rechercher le
plaisir des sens mais de considérer même les plus décevantes de
vos expériences ou vos pires échecs comme des occasions de vous
éveiller. On pourrait dire que ces situations sont des devadūta ou «
messagers » qui nous tapent sur l’épaule en disant : « réveille-toi ! »
C’est pour cela que, dans le bouddhisme, la vieillesse, la maladie, le
handicap et la perte ne sont pas vus comme des choses à craindre
ou à mépriser mais comme des devadūta6. Ce sont des « messagers
divins » envoyés pour nous prévenir. Un jour, un Chrétien m’a
demandé s’il y avait des anges, dans le bouddhisme : « Dans le
christianisme, nous avons des anges, toutes sortes d’êtres blancs
et beaux qui jouent de la harpe ; ce sont des êtres rayonnants et
lumineux. » J’ai répondu : « Les anges bouddhistes sont différents.
Ce sont la vieillesse, la maladie et la mort ! » Le quatrième
devadūta est le samana, le contemplatif, l’être humain qui a une
réalisation spirituelle.
6. Ce mot pāli est formé de dūta qui est une sorte de messager et de deva qui signifie «
angélique » ou « divin ».

74

Ceci m’a toujours intéressé parce que je trouvais très amusant
de voir un vieil homme comme un ange, les malades, les malades
mentaux, les cadavres ou encore des moines et des nonnes comme
des devadūta. Regardons-nous les uns les autres comme des
devadūta – sinon nous devenons des « personnes », n’est-ce pas ?
Quand on regarde un ensemble de têtes rasées et de vêtements
couleur safran, on arrive à les voir comme des devadūta plus
facilement que si on les regarde comme des moines et des nonnes,
seniors et juniors... car là, on tombe dans une vision personnelle
(sakkāya-ditthi). Est-ce que nous nous aidons effectivement les
uns les autres à nous éveiller ou est-ce que nous nous considérons
plutôt comme des individus affublés de vertus et de défauts ? «
Ce moine est comme ceci, cette nonne est comme cela ».” Nous
pouvons voir les choses à la manière ordinaire du monde ou
bien changer de perspective et percevoir les autres comme des
devadūta.
On peut voir les personnes âgées comme des devadūta. Comme
moi : j’aurai soixante-sept ans dans quelques jours. Pas seulement
un devadūta en tant que samana mais aussi en tant que vieil
homme ! Quand je serai malade et sénile, je serai encore plus
un devadūta et quand je mourrai, je serai les quatre en un ! En
réfléchissant ainsi, nous pouvons voir comment utiliser la vie.
La malléabilité de notre esprit humain est infinie. Nous sommes
parfois terriblement entêtés et conditionnés par la pensée dualiste
que nous héritons de notre culture. Par exemple, j’ai grandi en
apprenant à tout voir de manière très dualiste du fait de mon
éducation chrétienne. Les choses étaient absolument justes ou
absolument fausses, bonnes ou mauvaises. Tout était vu de cette
manière très fermée. On ne pouvait guère utiliser son esprit car il
ne pouvait se déplacer qu’entre ces deux extrêmes.

À l’inverse, certains exercices de méditation bouddhiste proposent
de visualiser, d’utiliser l’esprit pour créer une image de certaines
choses, pour contempler les trente-deux parties du corps, par
exemple. Je me souviens que, lorsque j’ai pratiqué cela pour
la première fois en Thaïlande, je voulais absolument évoquer
ces trente-deux parties du corps de manière aussi exacte que
possible selon la science occidentale. Pour contempler les trente-
deux parties de mon propre corps, je préférais prendre un livre
d’anatomie et regarder une image. Mais contempler la réalité des
organes qui existent ici, maintenant, dans ce corps que j’appelle
« moi », dans cette chose que je prends pour « moi », c’est utiliser
les connaissances de manière très différente ; cela nous oblige à
assouplir un peu l’esprit.
La semaine dernière, je disais à un moine combien il est difficile
parfois de voir ses propres qualités parce que nous sommes
tellement habitués à voir ce qui ne va pas en nous, le négatif, les
défauts. J’ai remarqué, surtout chez les Occidentaux, Européens et
Américains, que nous passons beaucoup de temps à nous critiquer
nous-mêmes, à nous attarder sur ce que nous considérons comme
nos défauts, nos mauvais côtés ou nos faiblesses. Nous allons
jusqu’à considérer qu’il est mal de reconnaître nos qualités. J’étais
comme cela, moi aussi : je me trouvais honnête quand j’admettais
mes faiblesses et mes défauts mais, si je m’étais reconnu une vertu,
j’aurais eu l’impression de fanfaronner. En Angleterre, il est très
mal vu de fanfaronner, de dire aux autres que l’on est quelqu’un de
formidable, que l’on gagne beaucoup d’argent, que l’on est titulaire
de nombreux diplômes ou titres. En Thaïlande, certains moines
ont une carte de visite qui porte tous leurs titres : diplômé de ceci,
docteur en cela, chef de province, vice-président de l’Association
mondiale bouddhiste et du Congrès mondial bouddhiste, etc.,
etc. C’est tout à fait normal, là-bas, de se présenter en fonction
de ses réalisations. Ici, par contre, nous trouvons que c’est de très
mauvais goût, que c’est embarrassant. En Angleterre, vous ne
verrez jamais le diplôme des gens encadré et accroché au mur ; ce
serait embarrassant pour eux ; ce serait comme se faire valoir. Il y a
une certaine modestie assez attachante chez les Anglais mais il ne
faut pas la pousser trop loin, au point de ne plus être capable de se
reconnaître la moindre vertu, d’apprécier ses succès et ses qualités.
Allons-nous devenir des monstres à l’ego surdimensionné si nous
admettons que nous apprécions ce qui est bien ? Si on me demandait
pourquoi je suis devenu bhikkhu (moine bouddhiste), pourquoi j’ai
choisi de mener une vie de célibat dans cet ordre monastique, je
pourrais répondre : « Pour mettre un peu d’ordre dans ma vie, pour
savoir où je vais. Je n’ai pas trouvé d’autre manière d’y parvenir. Il
fallait que je fasse quelque chose pour y arriver. » Je peux voir cela
en termes de faiblesse et d’incapacité, comme si j’avais besoin du
soutien des circonstances extérieures parce que je n’y arriverais
pas tout seul. Mais je peux aussi le voir en d’autres termes : j’étais
attiré par ce qui est beau, vertueux et bon. Les deux points de vue
ont une part de vérité. Bien sûr, même si les choses viles et sombres
ne m’attirent pas, cela ne veut pas dire que je gravite seulement
autour de ce qui est beau et lumineux ; j’ai aussi eu une certaine
fascination pour ce qui ne l’est pas. Je dirais plutôt que c’est un
penchant naturel qui m’attire vers ce qui est bon et lumineux, ce
qui est vrai et beau. C’est la voie qui m’intéresse, c’est dans cette
direction que j’ai envie d’aller. Voilà quelque chose de très bon,
quelque chose qu’il faut respecter. Je suis obligé d’admettre que
c’est une belle qualité dans mon caractère.
Interpréter ces tendances positives en nous en termes de qualités
personnelles, c’est apprendre à être honnête, à admettre et à
apprécier consciemment notre humanité et notre individualité.

Cela permet de nous donner une confiance que nous n’avons pas
si nous sommes obsédés ou obnubilés par l’autocritique, si nous
nous percevons trop négativement. Voir les choses ainsi, c’est être
capable d’utiliser notre esprit critique, notre capacité d’analyse et
nos pensées non seulement pour observer et comparer les choses
mais aussi pour examiner et investiguer en termes d’expérience
vécue. Nous nous éveillons à la respiration : « elle est ainsi » ;
nous nous éveillons à notre état de sensibilité de l’instant : « il est
ainsi » ; nous nous éveillons à la gêne que nous ressentons, nous
voyons qu’elle vient de choses qui entrent en contact avec nos
sens et les irritent ; nous nous éveillons à nos obsessions et à nos
schémas émotionnels, quels qu’ils soient, nous prenons du recul
par rapport à eux au lieu de les voir comme quelque chose dont il
faut se débarrasser. S’éveiller à tout cela, changer nos tendances à
refouler, à résister, à nier ce qui est, pour ouvrir les yeux, accepter
et accueillir.
Dans la première noble vérité, le Bouddha a proclamé qu’il y a
dukkha, la souffrance. Il a mis cela dans le contexte d’une « noble
vérité » et non d’une réalité déprimante. Si nous considérons cette
affirmation comme une réalité déprimante, que se passe-t-il ? « La
vie n’est que souffrance, rien que de la souffrance. On vieillit, on
tombe malade et puis on meurt. On perd tous ses amis. ‘Tout ce qui
m’appartient que j’aime et que j’apprécie changera et me sera ôté’.
Et c’est tout : de la souffrance du début jusqu’à la fin.” Qu’y a-t-
il de noble là-dedans ? Si on l’entend en termes personnels, c’est
pessimiste et déprimant. On va conclure : « Cela ne me plaît pas. Je
ne veux pas souffrir. Quelle mauvaise blague Dieu nous a faite en
créant ce monde de misère et moi qui suis né là-dedans, je dois y
vivre ! Pourquoi dois-je vivre ? Juste pour vieillir, tomber malade
et mourir ? » Bien sûr, c’est très déprimant ; ce n’est pas une
« noble vérité ».” Mais c’est parce que nous créons un problème en
refusant de voir les choses telles qu’elles sont. Si nous considérons
« il y a la souffrance » comme une noble vérité, nous écoutons le
conseil, la prescription qui suit, pour nous aider à vivre avec cette
souffrance : l’accueillir, la comprendre, s’y ouvrir, l’admettre,
commencer à observer les choses de près et les accepter. Alors,
nous sommes prêts à prendre les choses comme elles viennent,
à apprendre de ce que nous n’aimons pas et que nous ne voulons
pas, de la douleur, de la frustration et de l’irritation, qu’elles soient
physiques, mentales ou émotionnelles.
Comprendre la souffrance, c’est s’ouvrir à elle. Dire : « Je
comprends la souffrance parce qu’elle est comme ceci ou cela »,
c’est la rationaliser, ce n’est pas la comprendre. Il s’agit d’accueillir
la souffrance que nous ressentons à bras ouverts : frustration,
désespoir, douleur, irritation, ennui, peur ou désirs. C’est là et
nous ouvrons les bras, nous accueillons, nous acceptons. C’est
alors que la souffrance devient une noble vérité, vous voyez ?
Alors, notre humanité est noble ; c’est une vérité ariyan. Le mot
pāli ariyan signifie « noble ». La noblesse est une grande qualité qui
nous élève. Quand on est noble, on s’élève au-dessus des choses ;
on ne dit pas : « La vie est trop dure ; je veux m’échapper ; je ne
peux pas supporter tout cela. » Il n’y a rien de noble dans une
telle attitude. Si on a été élevé dans le christianisme, on va blâmer
Dieu : « Pourquoi avez-vous permis cela ? C’est de votre faute. »
Je me souviens qu’enfant j’étais furieux contre Dieu : « Si j’étais
Dieu, j’aurais créé une bien meilleure situation que celle-ci, je
n’aurais pas créé la douleur.” On tombe, on a mal et on se dit : «
Pourquoi Dieu permet-il cela ? Pourquoi a-t-il créé un monde où il
y a tant de douleur ? Si j’étais Dieu et je créais le monde, la douleur
n’existerait pas ». Ma mère avait toujours du mal à répondre à ce
genre de questions. Que répondre ? Il est évident que la douleur
est quelque chose qui ne devrait pas être, ce n’est pas juste... à
moins qu’elle soit une noble vérité ! La vieillesse est-elle une noble
vérité ? La perte, la séparation et tout ce que nous devons vivre
dans ce corps, dans ce monde... Allons-nous l’aborder en nous
plaignant et en blâmant les autres ou comme une noble vérité ?
Voilà ce que je vous propose d’investiguer.
Nous pouvons voir les choses de différentes façons ; nous ne sommes
pas les victimes d’une programmation unique et figée. Si nous
étions définitivement programmés par la culture et la famille dans
lesquelles nous avons grandi, ce serait bien dommage. Quelques
fois ce serait acceptable mais pourquoi nous considérer limités à
cette seule expérience alors que nous avons l’occasion d’explorer
la réalité, de l’étudier et d’en avoir une connaissance directe ?
L’éveil n’est pas quelque chose de lointain et d’inaccessible. Peut-
être l’imaginez-vous comme un état très abstrait, très élevé, auquel
on peut aspirer mais que vous ne pensez pas pouvoir atteindre un
jour. Sur quoi sont basées ces pensées ? Sur une image de vous-
même : « Je suis comme ceci et comme cela ».”
Si je dépendais de ma personnalité, je ne pourrais rien faire.
Je n’imaginerais même pas pouvoir m’éveiller parce que ma
personnalité ne peut absolument pas me concevoir comme
quelqu’un capable de trouver l’éveil. Ma personnalité est
conditionnée à ne voir en moi que ce qui ne va pas car je suis issu
d’une société compétitive où l’on est très conscient de qui est le
meilleur et qui est le pire, qui est au-dessus et qui est au-dessous.
Par conséquent, je ne peux pas m’y fier. Mes habitudes personnelles
sont conditionnées et n’ont donc aucune flexibilité. Si nous nous
contentons de nous attacher à notre vécu ou de l’interpréter à
travers le filtre de ces perceptions, si nous n’apprenons jamais
à regarder les choses sous un autre angle, nous sommes piégés
dans une vision étriquée qui peut conduire à une manière très
déprimante de vivre notre vie.

Si nous commençons à nous éveiller, nous allons voir au-delà
de la dualité rigide, de la dualité puritaine ou du programme
que nous avons acquis dès l’enfance dans notre famille et notre
environnement social. Ayez confiance dans votre intuition qui
s’éveille. Ne vous fiez pas à vos idées, à vos opinions sur tout – sur
vous-même, sur le bouddhisme ou sur le monde – car les idées sont
très souvent des préjugés. Nous avons beaucoup de préjugés les
uns vis-à-vis des autres : sur le plan racial ou ethnique, sur le plan
de notre identité sociale ; nous pouvons nous sentir socialement
supérieurs... Il ne faut se fier à rien de tout cela.
Nous pouvons considérer les choses de différentes manières ;
nous ne sommes pas obligés de les voir toujours à partir des
conditionnements que nous avons acquis. Ainsi, lorsque le
Bouddha parle de « l’esprit de Bouddha », il parle d’un esprit
souple et malléable ; un esprit universel. Nous pouvons voir les
choses de tant de points de vue différents ! L’esprit est capable
de rayonner. La conscience resplendit ; elle est elle-même une
lumière. Alors, lorsque nous commençons à lâcher notre habitude
de toujours nous limiter à cause des déformations de nos états
d’esprit conditionnés, nous commençons à comprendre, à voir les
choses telles qu’elles sont réellement, à connaître le Dhamma –
c’est l’éveil. Ce n’est pas quelque chose de lointain ni d’inaccessible
si on ne s’attache pas à ces idées sur un plan personnel Nous avons
tendance à mettre ces perceptions sur un tel piédestal qu’il nous
devient totalement impossible de les atteindre. Nous agissons ainsi
quand nous ne nous sommes pas éveillés à ce que nous faisons.
Nous fonctionnons uniquement à partir d’une vision conditionnée
de tout.
Il y a dukkha (la souffrance) et dukkha devrait être accueilli.
Voilà ma nouvelle interprétation de la première noble vérité du
Bouddha ! La traduction classique est : « dukkha devrait être
compris » mais maintenant je propose : « dukkha devrait être
accueilli ». Comment cela ? Essayez ! Vous pouvez tester tous ces
mots. Ne vous tourmentez pas en pensant que les textes originaux
en pāli parlent de comprendre et non d’accueillir. En réalité,
le texte original ne dit pas « comprendre ». Il utilise un mot en
pāli que nous avons traduit par « comprendre » mais peut-être
ne comprenons-nous pas correctement le mot « comprendre ».
Avez-vous pensé à cela ? Peut-être ne comprenons-nous pas bien
notre propre langue. Nous sommes tellement habitués à une
interprétation très étriquée du mot « comprendre » que nous
avons beaucoup de mal à l’agrandir. Si nous adoptons un regard
plus vaste, nous pouvons jouer avec les mots, faire des expériences.
Essayez et observez les résultats !
Je pourrais déclarer : « Je vous dis d’accueillir dukkha parce
que j’ai trouvé la vraie traduction et quiconque continue à dire
‘comprendre’ est dans l’erreur » Mais ce serait imposer ma vision
des choses, mon interprétation personnelle... Et nous retomberions
dans une approche rigide et arrogante. Non, je ne vais pas essayer
de prouver que j’ai raison, que mes traductions sont les meilleures.
Je vous propose simplement de voir l’effet qu’elles produisent ici
et maintenant, et je partage cela avec vous, pour vous encourager à
assumer le droit et la liberté de vous connaître mieux vous-même.
Vous n’êtes pas obligé de toujours essayer de vous conformer au
regard et aux opinions de votre tradition, avec toutes ses formes
orthodoxes et ses définitions qui correspondent à la façon dont
« notre école » voit les choses.
« Il y a dukkha et dukkha devrait être accueilli. Dukkha a été
accueilli. » Qu’en pensez-vous ? Essayez ! Je ne sais pas si cela
fonctionnera pour vous mais cela fonctionne pour moi parce que,
de par mon tempérament, j’ai tendance à repousser dukkha. C’est
mon conditionnement, ma personnalité. « La souffrance ? Au
large ! Je n’en veux pas ! » Je vois quelqu’un qui souffre et je
n’ai pas envie de m’approcher de lui. « Ajahn Sumedho, j’ai un
problème » – au large ! Je ne veux pas de problème. C’est la tendance
de mon caractère de résister ainsi. Je ne veux rien entendre sur la
souffrance. Parlez-moi des bonnes choses : « Comment allez-vous
aujourd’hui ? » « Je vais très bien, Ajahn Sumedho. J’adore être
ici, à Amaravati. Je suis heureux d’être moine. J’adore le Dhamma,
la tradition du Theravada et le Vinaya (la discipline monastique).
J’aime absolument tout. » Voilà ce qui me rend heureux. Encore,
encore ! Je m’approche de quelqu’un d’autre : « Comment allez-vous
ce matin ? » « Oh, cette vie monastique est tellement ennuyeuse,
tellement triste. J’en ai assez. Je ne veux plus être moine. » Voilà ce
que je ne veux pas entendre. Ne me dites pas cela !
Nous pouvons aller d’une personne à une autre en espérant
que les gens vont nous aider à nous sentir bien : « Dites-moi les
bonnes choses parce qu’elles me font du bien. Ne me dites pas les
mauvaises choses parce qu’après, je me sens mal. Je ne veux pas
me sentir mal, je ne veux pas de la souffrance ; je ne l’accueille pas,
je veux m’en débarrasser. » Alors, je vais passer ma vie à essayer
d’obtenir autant de bonnes choses que possible et à repousser
les mauvaises. Mais, avec cette nouvelle traduction – « Il y a la
souffrance et la souffrance devrait être accueillie » –, tout change,
n’est-ce pas ? Nous voyons la souffrance – la nôtre, les problèmes
et les difficultés des autres, etc. – comme des choses à accueillir et
non à fuir ou à repousser.
Nous sommes en retraite depuis une semaine. J’aime vraiment
beaucoup la pratique de la méditation formelle. J’aime m’asseoir ici,
face à l’autel. J’aime le temple, c’est un endroit très agréable pour
s’asseoir en méditation. Je m’assieds sur ce coussin triangulaire qui
soutient bien la colonne vertébrale, de sorte que je peux rester assis
longtemps très confortablement. Je regarde l’autel et mon esprit
s’arrête et s’apaise. Ensuite, quand je me retourne et que je vous
regarde... Que se passe-t-il quand je vous regarde tous ? C’est juste
une manière de contempler. Quand je regarde l’autel, tous les objets
qui y sont disposés apportent la paix et le calme. Il y a des bougies,
de l’encens et la statue du Bouddha – des choses qui ne sont pas
dukkha pour moi. Elles sont inspirantes, agréables ; elles ne sont
pas irritantes et n’éveillent aucun sentiment déplaisant. Si je ne
tiens pas spécialement à les regarder, je peux simplement fermer
les yeux et ne rien regarder. Mais quand je me retourne et que
vous êtes tous là, qu’est-ce qui se passe ? J’ai soudain le sentiment
qu’il y a tellement de possibilités : tous ces gens différents, certains
que je ne connais même pas, d’autres que je crois connaître. J’ai
des opinions sur certains d’entre vous : celui-ci est comme ceci,
celui-là comme cela. J’ai des souvenirs et chaque personne peut
évoquer de bons ou de mauvais souvenirs. Certaines personnes
ont une façon particulière de bouger, d’agir ou de parler qui éveille
différentes réactions dans mon esprit, dans ma conscience. Si je me
dis : « Oh, je ne peux pas supporter ce comportement », c’est ainsi
que le monde va se présenter pour moi et je vais être obligé de vite
me retourner vers l’autel ! Par contre, si, pendant que je regarde
l’autel, je prépare ma conscience à m’amener à la non-saisie, à la
réalité du non-attachement, si j’ai pleinement conscience de cela,
je ne dépends plus de la stimulation que m’apporte le regard sur
l’autel. Alors, au lieu de me détourner de la communauté, je peux
me tourner vers elle. C’est ainsi que nous commençons à nous
éveiller à la réalité et à lâcher les expériences conditionnées dont
nous sommes devenus très dépendants.

Nous parlons de prendre refuge dans le Sangha et nous savons
définir le Sangha en termes de « quatre paires » qui constituent les
huit sortes de nobles êtres. Combien d’entre nous correspondent
à cette description ? Combien de nos egos peuvent se considérer
comme des sotāpannamagga, sotāpanna-phala, sakadāgāmi-
magga, sakadāgāmi-phala, anāgāmi-magga, anāgāmi-phala,
arahatta-magga ou des arahattā-phala7 ? Lequel êtes-vous ?
Comment puis-je prendre refuge dans quatre paires et huit sortes
de nobles êtres ? Tout cela est très abstrait ; ces sages, ces êtres
idéaux quelque part, peut-être... Mais peut-être y en a-t-il parmi
nous ? Ce moine ou cette nonne ? Alors, qu’est-ce que le refuge
dans le Sangha ? Voulons-nous que cela reste abstrait ? Est-ce à
moi de décider qui est un sotāpanna ou un sakadāgāmi, de décider
auprès de qui je peux prendre refuge ? Dans ce cas, ce serait encore
une question d’ego. Me voilà, je suis cette personne qui essaie de
décider du statut de quelqu’un d’autre.
Prenez plutôt des mots comme « Sangha » pour faire en sorte qu’ils
aient du sens pour vous. Rendez-les concrets. Nous avons le même
refuge ; nous sommes le Sangha. Notre refuge est dans le Bouddha,
le Dhamma et le Sangha, pas dans des préférences ou des attitudes
personnelles, pas dans des habitudes, des jugements ou des
opinions. Lorsque nous nous voyons les uns les autres en termes
de Sangha ou comme des devadūta, nous commençons à mieux
comprendre, à respecter et à dépasser les préférences personnelles,
les opinions personnelles et les réactions personnelles.

7. Ce sont les huit sortes de nobles êtres : le premier a réalisé la voie de l’entrée dans
le courant ; le second, le fruit de l’entrée dans le courant. Le troisième a réalisé la voie
de celui qui ne reviendra qu’une fois ; le quatrième, le fruit de celui qui ne reviendra
qu’une fois. Le cinquième a réalisé la voie du non-retour ; le sixième, le fruit du non-
retour. Le septième a réalisé la voie de l’éveil ; le huitième, le fruit de l’éveil.


Nous n’essayons pas de les annihiler parce que le dukkha que nous
accueillons, ce sont toutes ces réactions personnelles :
pourquoi
je ressens de la colère, pourquoi cette jalousie, pourquoi je me
sens rejeté, etc. Nous n’essayons pas d’ignorer ces ressentis. Au
contraire, grâce à la confiance que nous développons dans cet
état éveillé, nous pouvons tous les accueillir comme faisant partie
d’une noble vérité et non comme des défauts personnels.
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5 LE SON DU SILENCE


Quelqu’un a décrit le son du silence comme un murmure cosmique,
un fond sonore scintillant, quasi électrique. Bien qu’il soit présent
tout le temps, en général nous ne le remarquons pas, sauf quand
l’esprit est ouvert et détendu. Pour moi, ce son a été un point de
référence très utile car, pour l’entendre, pour le remarquer, il
fallait que je sois dans un état de conscience détendu. Les gens
essaient parfois de le trouver à partir d’une description qu’on leur
en fait. Ils suivent une retraite de dix jours et, pendant tout ce
temps, ils essaient de trouver le son du silence : « Je ne l’entends
pas. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? » Ils cherchent « une
chose » or le son du silence n’est pas quelque chose que l’on trouve
mais à quoi on s’ouvre, tout simplement. C’est savoir écouter
avec un esprit réceptif qui permet de l’entendre. N’essayez pas de
résoudre un problème compliqué – écoutez simplement. Mettez
votre esprit dans un état de conscience réceptive, une conscience
prête à accueillir tout ce qui peut arriver. Et l’une des choses que
vous commencez alors à distinguer, c’est le son du silence.
Certaines personnes développent une aversion pour ce son. Je
me souviens d’une femme qui avait commencé à l’entendre et qui
voulait qu’il s’arrête. Elle lui résistait. Elle m’a dit : « Avant, mes
méditations étaient paisibles. Maintenant, j’entends ce maudit
son et j’essaie de l’arrêter. Avant, je ne l’entendais jamais et
La Conscience Intuitive
maintenant, dès que je m’assois, j’entends ce zzz... Je n’en veux
pas ! » Elle résistait avec aversion à « ce qui est » ; elle créait de
la souffrance. Mais, au lieu de créer de la souffrance, le son du
silence peut nous aider à concentrer l’esprit car, lorsqu’on en est
conscient, l’esprit est dans un bel état d’expansion, un état qui
permet d’accueillir tout ce qui peut apparaître dans la conscience.
C’est le contraire de l’aversion et de l’exclusion. Le son du silence
est comme l’espace infini parce qu’il inclut tous les autres sons ;
il inclut tout. Il nous donne un sentiment d’ouverture illimitée,
d’infini. Les autres sons arrivent et passent, changent et évoluent
selon leur nature mais le son du silence est comme un flot continu,
une rivière infinie.
Je me souviens d’une retraite que j’ai donnée près de Chiang
Mai, au nord de la Thaïlande, dans un joli village de montagne où
coulaient une rivière et une cascade. La salle de méditation avait été
construite tout près de la cascade et on entendait continuellement
le bruit de l’eau qui était assez fort. Un participant à la retraite
est devenu hostile à ce son : « Je ne peux pas méditer ici ; c’est
trop bruyant. Le vacarme de la rivière est insupportable ».” Nous
pouvons soit écouter et ouvrir notre esprit au son, soit lui résister,
nous battre contre lui et créer de la souffrance. Quant à moi,
j’entendais le bruit de la rivière et de la cascade mais, derrière, je
percevais aussi le son du silence. En fait, le son du silence devenait
le plus fort et le plus évident des deux, sans toutefois étouffer celui
de la rivière. Ils s’articulaient harmonieusement.
Dans cet état, l’esprit est un peu comme un radar. La conscience est
très vaste, en expansion ; elle inclut, elle est ouverte et réceptive
et non pas fermée, enfermée et contrôlée. Alors, observez tout
cela, contemplez ce ressenti en concentrant simplement votre
attention sur le son du silence. Si on considère qu’entendre ce son
est une grâce ou un sentiment agréable d’ouverture (plutôt qu’un
bourdonnement dans les oreilles ou un acouphène), si on l’écoute
comme si c’était le chant des anges, un son cosmique primordial
qui magnifie chacun des instants où l’on s’y ouvre, on aura le
sentiment que c’est une bénédiction. Alors, pensez-y de cette
manière positive et vous verrez que vous vous y intéresserez de
plus en plus et qu’il vous aidera à vous sentir bien.
En écoutant le son du silence, on peut commencer à contempler
le non pensé parce que, lorsqu’on écoute ce son cosmique, il n’y a
pas de pensée : c’est ce que c’est, tout simplement. Vacuité, non-
soi. Quand on est seulement avec ce son, l’attention est pure, il
n’y a aucun sentiment d’être « quelqu’un », d’être « moi » ou de
posséder quoi que ce soit. On s’approche d’anattā, l’impersonnalité,
le « non-soi ».
Détendez-vous dans ce son, n’essayez pas de forcer votre attention.
Qu’il y ait simplement détente, repos, paix intérieure. Essayez de
compter jusqu’à dix, par exemple, pour apprendre à maintenir
en place cette écoute du son. « Un, deux, trois... » L’esprit n’a pas
l’habitude de se poser calmement ainsi. Normalement, il est sans
cesse agité par des pensées et toutes sortes d’activités mentales.
Il faut un peu de temps pour se calmer, se détendre et se reposer
dans ce silence de l’esprit.
Dans le silence, on peut aussi devenir conscient de toutes les
émotions qui apparaissent. Ce n’est pas un vide qui annihile tout,
ce n’est pas un néant stérile. Le silence est riche, il englobe tout.
Peu à peu, il nous permet de prendre conscience des mouvements
de l’émotion, du doute, des souvenirs ou des sentiments qui nous
habitent. Il les accueille sans les juger, sans résister, sans non plus
être fasciné par eux. Il les reconnaît et il comprend que c’est ainsi.

Du fait de la façon dont l’esprit a été conditionné sur le plan
des perceptions, nous utilisons le mot « son » et nous associons
le son aux oreilles. Le son du silence est perçu comme un léger
bourdonnement dans les oreilles parce que l’impression de son est
toujours liée aux oreilles. Mais on peut se boucher les oreilles et
continuer à entendre ce son. Quand on nage sous l’eau, on l’entend.
Alors, de quoi s’agit-il ?
Peu à peu, on réalise qu’il est partout et pas seulement dans les
oreilles. L’impression qu’on l’entend par les oreilles est erronée ;
c’est comme croire que l’esprit est dans le cerveau. On change
alors de perspective : notre vision très conditionnée qui part d’un
sentiment de « moi » et de toutes les attitudes inculquées par notre
culture s’élargit pour comprendre, pour « embrasser » la réalité
telle qu’elle est.
Nous pensons généralement que l’esprit est dans le corps mais,
avec la conscience intuitive, nous voyons que c’est le corps qui est
dans l’esprit. En cet instant même, vous êtes dans mon esprit, vous
tous, assis là, vous êtes dans l’esprit. Sur le plan conventionnel,
nous croyons que l’esprit est dans la tête. Vous êtes assis là avec
un esprit dans la tête... toutes ces têtes avec un esprit à l’intérieur !
Mais, dans la réalité de l’esprit, je suis assis ici, sur ce siège surélevé,
je vous vois avec mes yeux et vous êtes tous dans mon esprit, pas
dans ma tête. Je ne peux pas dire que vous êtes tous dans mon
cerveau mais l’esprit, lui, ne connaît pas de limite.
Nous pouvons alors voir que le corps ressemble plutôt à une radio,
à une entité consciente dans l’univers qui récupère certaines
choses. Comme nous sommes nés dans cet univers en tant
qu’entités séparées, chacun de nous est un point de lumière, un
être conscient dans une forme isolée. Nous pensons normalement
que nous sommes une personne figée, une personne physique
solide, mais nous sommes plus grands que cela, pas aussi limités,
lourds et figés que notre conditionnement culturel nous le laisse
entendre ou que nous avons tendance à le percevoir.
Le son du silence ne m’appartient pas et il n’est pas non plus
dans ma tête mais cette forme physique, ce corps, est capable de
l’entendre et de connaître les choses telles qu’elles sont. Cette
connaissance n’est pas culturelle ; il ne s’agit pas de tout interpréter
à partir de mon conditionnement culturel mais de voir les choses
telles qu’elles sont, d’une manière directe qui ne dépende pas
d’attitudes culturelles. Alors, nous commençons vraiment à
comprendre anattā, (l’impersonnalité), qui nous permet de voir
que nous sommes tous connectés, que nous sommes un. Nous
ne sommes pas, comme il semblerait, des entités complètement
séparées. Si vous commencez à contempler les choses ainsi, votre
conscience va devenir plus vaste et va inclure les choses au lieu de
les délimiter.
Pour ce qui concerne la méditation, nous établissons notre
conscience dans le présent. Nous regroupons l’attention en
évoquant et en contemplant un point unique de focalisation dans
le présent, que ce soit le corps, le souffle ou le son du silence.
Nous pouvons ensuite apporter une attitude de mettā (amitié
bienveillante), ce qui est une manière de se relier aux phénomènes
conditionnés et de les reconnaître, sans les juger. Sans cette
attitude, nous avons tendance à porter des jugements de valeur
sur ce que nous vivons à un niveau personnel. Une personne
ressent de la paix tandis qu’une autre est agitée, une personne est
inspirée tandis qu’une autre s’ennuie, une personne est en pleine
forme tandis qu’une autre est déprimée ; ou bien on a de bonnes
ou de mauvaises pensées, des pensées idiotes ou bénéfiques. Tout
cela, ce sont des jugements portés sur la qualité du vécu de chacun
d’entre nous. En termes de « savoir », nous savons que la pensée est
une apparition-disparition conditionnée. Les mauvaises pensées,
même les plus horribles, apparaissent et disparaissent, exactement
comme les bonnes pensées. Il ne s’agit pas de vous juger mauvais
parce que vous avez de mauvaises pensées mais d’être capable de
reconnaître la pensée pour ce qu’elle est, de voir que la nature
des pensées est impermanente, changeante, impersonnelle. Alors,
maintenant, utilisez simplement ce bourdonnement cosmique, ce
doux flot de son scintillant. Familiarisez-vous avec lui.
Il arrive parfois que nous nous laissions emporter par les émotions,
que nous ressentions une forte indignation, par exemple, ou une
contrariété : « Je ne supporterai pas cela. J’en ai assez ! » Quand
cela se produit, entrez dans le son du silence et comptez jusqu’à
cinq, ou dix, et voyez ce qui se passe. Faites l’expérience, essayez
maintenant. « J’en ai vraiment assez ; ça suffit, j’arrête ! » Ensuite
faites le silence... Autrefois j’aimais beaucoup jouer ainsi quand
j’étais indigné, exaspéré ou que j’en avais marre. J’aime bien cette
expression « j’en ai marre ». On peut l’exprimer avec beaucoup de
conviction.
Ce son « cosmique », le son du silence, est vraiment un son naturel.
C’est pour cela qu’on apprend à se reposer en lui ; il se maintient
parce qu’il n’est pas créé par nous. Ce n’est pas comme créer un
état d’esprit très fin qui dépend de circonstances particulièrement
adaptées pour pouvoir être maintenu. On ne peut pas être dans
une situation où il se passe des choses grossières, bruyantes,
tapageuses ou déplaisantes et maintenir un sentiment de pureté
dans l’esprit. Pour avoir un état mental raffiné, il faut du silence,
peu de sollicitations, pas de bruit, pas de distractions, pas de
querelles, de guerres, d’explosions – juste une jolie scène où
tout est très fin et contrôlé. Quand on entre dans cet état, on
peut devenir très précieux, les gens se parlent en murmurant
doucement... mais si, soudain, quelqu’un pousse un cri, nous
sommes complètement secoués et très contrariés parce que notre
sensibilité a été exacerbée.
Quand on se familiarise avec le son du silence, on commence à
l’entendre partout : au milieu de Londres, dans la circulation
de Bangkok, pendant une dispute, par-dessus le bruit de la
tronçonneuse, quand le marteau-piqueur, la tondeuse et la
tronçonneuse fonctionnent en même temps, même quand il y a
de la musique ! Apprendre à le détecter et à se brancher sur lui
est une sorte de défi. Parfois les gens disent : « Je n’arrive pas à
l’entendre, il y a trop de bruit ».” Si vous résistez au bruit, vous ne
pouvez pas entendre le son du silence mais si vous vous y ouvrez,
vous commencez à entendre le doux bourdonnement scintillant,
même quand le marteau-piqueur est à fond.
Écouter le son du silence nous permet d’intégrer l’attention de la
méditation au mouvement, au travail, à l’activité. Que vous soyez
en train de laver la vaisselle dans la cuisine, de marcher vers votre
chambre ou de conduire une voiture, vous pouvez écouter le son
du silence en même temps. Cela ne détournera pas votre attention.
Vous pourrez être complètement présent à ce que vous faites. Ce
n’est pas quelque chose qui vous distrait pendant que vous lavez
la vaisselle. Au contraire, cela vous rend plus attentif. Vous êtes
vraiment présent, « avec » la vaisselle, au lieu de juste laver des
assiettes en pensant à des tas d’autres choses. De même, quand vous
marchez vers votre chambre, vous pourriez avoir toutes sortes de
pensées mais, en utilisant le son du silence, vous êtes avec l’action
de marcher, attentif, présent à ce qui se passe dans l’instant.
Il arrive que le son du silence devienne très fort et déplaisant mais
cela ne dure pas. Cela m’est arrivé une fois. Il était incroyablement
fort, à me percer les tympans. Je me suis dit : « Il y a quelque chose
qui ne va pas » et puis c’est passé. J’ai essayé de le rendre plus
fort à nouveau mais je n’ai pas réussi. Ce n’est pas dangereux. Cela
dépend de la façon dont vous le voyez. Si vous y résistez ou si votre
attitude est négative, vous créez de la négativité envers lui. Si vous
vous détendez et vous vous ouvrez, vous sentez ce fond sonore
doucement scintillant qui est paisible, calmant et reposant. Vous
commencez à reconnaître la vacuité. Ce n’est pas une vague idée
selon laquelle la pratique de la méditation peut vous permettre de
faire, un jour, l’expérience de la vacuité. Cela n’a rien de vague,
c’est très direct.
Ensuite, dans cette vacuité, contemplez ce qu’est le « moi ».
Quand vous devenez une « personne » que se passe-t-il ? Vous
commencez à penser, à vous saisir de vos ressentis ; alors vous
devenez un homme ou une femme, un Poisson ou un Gémeau, un
Asiatique ou un Européen, un vieil homme, une jeune femme, etc.
C’est avec la pensée, quand nous nous saisissons des khandha8,
que nous nous empêtrons dans cette vision des choses suite à quoi
nous « devenons » quelque chose. Mais, dans cette vacuité, il n’y
a pas de nationalité. C’est une intelligence pure qui n’appartient à
personne. À partir de là, nous commençons à reconnaître quand
nous sommes quelqu’un et quand nous ne sommes personne,
quand il y a attā ou anattā.
Dans la vacuité, il n’y a pas de « moi ». En cet instant, il n’y a pas
d’Ajahn Sumedho. « Mais je veux vous raconter mon histoire
personnelle, vous parler de mes diplômes, de mes succès dans la
méditation ces trente-trois dernières années. Je suis l’abbé d’un
monastère, je suis considéré comme un VIB – very important
bhikkhu – et vous devez me respecter et bien me traiter parce que
8. Les cinq facteurs qui composent l’ensemble corps-esprit de l’être humain.

l’on gagne beaucoup de mérites en étant bon envers les personnes
âgées ! » Cela, c’est Ajahn Sumedho ! Ou bien : « Vous n’êtes pas
obligé de me respecter le moins du monde. Cela ne m’affecte pas
du tout. Si vous ne m’aimez pas, je suis capable de l’accepter. Si
vous me critiquez ou vous me trouvez des défauts, c’est OK, je
peux l’entendre parce que j’ai sacrifié beaucoup pour vous tous ».”
Cela, c’est encore Ajahn Sumedho. Une nouvelle naissance et puis
parti ! – Vacuité.
Simplement en explorant ceci, vous arrivez vraiment à comprendre
ce qu’est attā, le « moi », comment on devient une « personne », et
vous voyez aussi que, lorsque la « personne » s’efface, la présence
consciente est toujours là. C’est une conscience intelligente ; pas
une stupidité terne et inconsciente mais une vacuité intelligente,
claire et lumineuse. Quand on devient « une personne » – par
exemple lorsqu’on se lamente sur son sort, lorsqu’on a des idées
et des opinions arrêtées, lorsqu’on se juge sévèrement, etc. – à un
certain moment tout s’arrête, c’est le silence. Mais c’est un silence
clair et lumineux, intelligent. Je préfère ce silence au bavardage
mental qui ne s’arrête jamais.
Autrefois, j’avais ce que j’appelle « un tyran intérieur », c’est-à-
dire que j’avais pris la mauvaise habitude de toujours me critiquer
moi-même. C’était une véritable tyrannie ! Personne au monde ne
s’est montré aussi tyrannique, critique et méchant envers moi que
je ne l’ai été moi-même. Les personnes qui m’ont le plus critiqué,
qui m’ont fait du mal et m’ont rendu malheureux ne m’ont pas
accablé autant que j’ai pu le faire moi-même sans interruption, à
cause de ce tyran intérieur. C’était un vrai rabat-joie ; quoi que je
fasse, rien n’était jamais assez bon pour lui. Même si tout le monde
disait : « Ajahn Sumedho, votre enseignement de ce soir était
merveilleux », le tyran intérieur me soufflait : « Tu n’aurais pas
dû dire ceci ; tu as mal expliqué cela ».” Et il continuait dans une
interminable tirade de critique et de blâme. Finalement, ce n’était
qu’une habitude et j’ai pu en libérer mon esprit. Il n’y a plus de
place pour ce tyran et je sais exactement pourquoi : parce que je ne
crois plus à ce qu’il dit. Je n’essaie même pas de m’en débarrasser,
je sais seulement comment ne pas m’attacher à ce qu’il raconte et,
alors, il se dissout tout seul dans le silence intérieur.
Voilà une manière d’en finir avec beaucoup de ces habitudes
émotionnelles qui nous empoisonnent et nous obsèdent. Nous
pouvons effectivement entraîner notre esprit, non par le rejet ou
le déni mais par la compréhension et la découverte de plus en plus
profonde de ce silence. Alors, ne l’utilisez pas pour annihiler ou
repousser ce qui se présente dans votre méditation mais comme
un moyen de résoudre le problème des pensées obsessionnelles
et de libérer votre esprit des attitudes négatives qui risquent
d’empoisonner constamment votre vécu.
98


6 LA FIN DE LA SOUFFRANCE, C’EST MAINTENANT


Sur un plan conventionnel, nous concevons facilement des
choses auxquelles nous nous attachons. Avec sati-paññā et sati-
sampajañña, nous commençons à nous éveiller à « ce qui est » au
lieu de croire aveuglément aux réalités conventionnelles. Pour
cela, il suffit de renforcer la présence attentive avant de « devenir »
quelque chose. J’essaie de vous faire comprendre cela mais je crois
qu’il faut le répéter souvent parce que, même si cela paraît très
simple, la profonde tendance de l’esprit est de croire que l’image
que nous avons de nous-mêmes est la réalité. La plupart d’entre
vous croient fermement être des individus et votre réalité en tant
que personne est fortement enracinée.
Le terme pāli sakkāya-ditthi se traduit par « vision d’un moi
personnel » ou « ego ». Cela signifie que nous nous identifions
aux cinq khandha (le corps, les ressentis, les perceptions, les
conceptions et la conscience sensorielle) ; nous considérons qu’ils
appartiennent à cette personne que j’appelle « moi ». Quand on
commence cette investigation, on ne se saisit pas de son contraire,
la « non-personne », sinon, cela reviendrait à s’attacher au concept
d’anattā (non-soi), pour affirmer : « Il n’y a pas de ‘moi’ parce que
le Bouddha a dit qu’il y avait anattā ».” Ne serait-ce pas là une autre
façon de se saisir d’une perception ? Se saisir d’une perception de
soi comme non-soi devient un peu ridicule ! Ce n’est pas la bonne
façon de faire. Lorsqu’on se saisit d’une fabrication mentale, quelle
qu’elle soit, on finit toujours par souffrir. Mais ne me croyez pas
sur parole ! Testez et observez.
Au lieu de partir d’une quelconque perception ou conception,
le Bouddha propose de passer par l’attention, par la présence
attentive éveillée. Il s’agit d’un acte immanent dans le présent. On
peut toujours se saisir de l’idée d’attention éveillée et essayer de
l’atteindre encore et encore mais, en réalité, tout ce qu’il y a à faire
c’est être attentif. Il y a cette attention, sati-sampajañña, qui est
une conscience intuitive où la conscience est juste dans l’instant
présent : « C’est ainsi ». Nous commençons alors à explorer
sakkāya-ditthi selon les perceptions que vous avez de vous-même
et auxquelles vous êtes attaché. C’est pourquoi j’insiste pour que
vous fassiez l’exercice qui consiste à vous concevoir délibérément
comme une personne et à vous dire : « Je suis cette personne qui
doit méditer pour arriver à s’éveiller ».” Ou bien : « Je suis une
personne venue ici à Amaravati pour pratiquer la méditation
de façon à devenir une personne non éveillée à l’avenir ». Il y
aura peut-être des commentaires intérieurs, des perceptions à
propos de ces perceptions, mais là n’est pas la question. Pensez
délibérément : « Je suis une personne non-éveillée... » Répétez cela
avec une attention soutenue, en écoutant les mots. Cette pensée
délibérée nous permet de nous écouter pendant que nous pensons.
Lorsqu’on est prisonnier de l’esprit vagabond, on se perd ; une
pensée en entraîne une autre, elles s’enchaînent et on est emporté.
La pensée délibérée est très différente ; elle est intentionnelle :
c’est vous qui choisissez ce que vous allez penser. Ce qui importe,
ce n’est pas la pensée ni même sa valeur – intelligente ou stupide,
juste ou fausse – mais l’attention, la capacité à écouter la pensée
que l’on entretient volontairement. Quand je suis conscient de
ma pensée, comme cela – et je pense que c’est vrai pour tout le
monde, à moins que je sois une exception ! –, juste avant de
commencer à penser « Je suis une personne non-éveillée... », je sens
un espace, une pause, un vide. Observez cela. C’est juste « ce qui
est ». Il n’y a pas de perception dans cet espace mais l’attention est
présente ; il y a la conscience. On a clairement conscience
de cela avant qu’arrivent les mots : « Je suis une personne
non-éveillée... » Penser ainsi n’est pas laisser l’esprit vagabonder,
ce n’est pas juger, pas analyser ; c’est juste observer ce qui est : «
C’est ainsi ». Alors, quand vous vous exercez à penser délibérément,
vous pouvez aussi utiliser la pensée pour constamment observer
ce qui est.Dans une phrase comme « Je suis une personne non-
éveillée... », écoutez le pronom « je » et les mots qui suivent et vous
réaliserez que vous créez cette conscience de vous-même avec les
mots que vous pensez délibérément. Et qu’est-ce qui est conscient
de cette pensée ? Est-ce une personne qui est consciente ? Ou est-ce
une pure conscience ? Cette conscience est-elle personnelle ? N’est-
ce pas plutôt qu’une personne naît de ce genre de pensée ? Voilà ce
que signifie explorer, investiguer. En investiguant, vous apprenez à
voir ce qui est vraiment, le Dhamma. Vous voyez qu’en réalité il n’y
a pas une personne qui est consciente mais que la conscience inclut
ce qui semble personnel.
« Je suis une personne non-éveillée qui a besoin de pratiquer la
méditation pour devenir une personne éveillée à l’avenir. » Cela
implique que « je suis ce corps avec tout le passé qu’il contient.
J’ai cette histoire. J’ai tel âge. Je suis né dans tel pays, j’ai fait
ceci et cela. J’ai donc toute une histoire qui prouve que cette
personne – ‘moi’ – existe. J’ai même un passeport et un certificat
de naissance et les gens veulent même que j’aie un site web sur
Internet ! » Mais, en réalité, dans cette conscience, on ne sent pas la
moindre « personne ».”
Je constate que, plus je suis présent et conscient, moins les
événements de mon passé m’importent ou m’intéressent. Ils
n’ont aucun sens, en fait. Ce ne sont que quelques souvenirs
que l’on peut évoquer. Et pourtant, si je regarde mon passé au
niveau personnel, je peux en être prisonnier, me prendre pour
un individu dont le passé est soudain très important. Une identité
me donne le sentiment d’être une personne : « J’ai un passé, je
suis quelqu’un, je suis quelqu’un d’important – peut-être pas
terriblement important mais du moins, je me sens relié à quelque
chose dans le passé ; j’ai un foyer, j’ai un héritage ».” De nos jours,
certaines personnes disent qu’elles ont perdu le sentiment de leur
identité parce qu’elles sont en exil, parce que leurs parents sont
morts ou parce qu’elles appartiennent à deux races différentes.
On peut aussi ne pas avoir d’identité claire parce que l’on n’a
rien à quoi se raccrocher dans le passé. L’impression d’être une
personne dépend beaucoup de la capacité à prouver que l’on est
quelqu’un : on a reçu une certaine éducation, on appartient à une
certaine race, on a accompli certaines choses ou pas grand-chose,
on est quelqu’un d’intéressant ou pas, d’important ou pas – un VIP
(very important person) ou un VUP (very unimportant person) !
En méditation, nous n’essayons pas de nier la personne ni de
nous convaincre que nous sommes des non-personnes, en nous
saisissant d’idées comme : « Je n’ai pas de nationalité, pas de
sexe, pas de classe sociale, pas de race. Mon identité, c’est le pur
Dhamma ».” N’est-ce pas là encore une identité ? Ce n’est pas du
tout cela. Il ne s’agit pas de s’attacher au concept de non-soi mais
de « réaliser », d’observer, grâce à l’attention éveillée, ce qui est
réellement. On peut le faire avec ce simple exercice où l’on se
dit délibérément : « Je suis une personne non-éveillée...”. Vous
pouvez aussi dire : « Je suis une personne éveillée... » À votre
choix ! En général, on n’ose pas trop annoncer partout que l’on est
éveillé. Il est plus sûr de dire le contraire sinon quelqu’un va vous
défier : « Tu n’as pas l’air bien éveillé selon moi ! » Mais les mots
n’ont pas vraiment d’importance : « Je suis une personne non-
éveillée, je suis une personne éveillée, je suis une non-personne
éveillée, je suis une non-personne non-éveillée... » Ce qui importe,
c’est la qualité d’attention dans l’écoute de ces mots.
J’ai trouvé cet exercice très révélateur. Quand je l’ai pratiqué,
j’ai vu très clairement ce qu’est l’attention, sati-sampajañña, la
présence, la pleine conscience, l’aperception. Ensuite, la pensée,
la perception apparaît. Donc, la pensée délibérée : « Je suis une
personne non-éveillée... » apparaît dans l’espace de la conscience.
Cette conscience n’est pas une perception, n’est-ce pas ? C’est une
aperception ; elle inclut la perception. Les perceptions apparaissent
et disparaissent ; elles ne sont pas personnelles. Elles n’ont rien
d’Ajahn Sumedho ; elles ne sont ni féminines ni masculines ; ni
moines ni nonnes. Elles n’ont aucun des attributs que l’on trouve
sur le plan conventionnel. C’est comme rien – comme rien. Cette
conscience « Je suis une personne non-éveillée... » – et puis rien,
il n’y a pas de personne. On explore, on observe de près ces
« trous » avant le « je » et après le « je ». Dès que l’on dit « je », il y
a aussitôt sati-sampajañña, il y a le son du silence, n’est-ce pas ? «
Je suis » apparaît dans la conscience, dans cette attention ouverte.
Voilà les questions que vous pouvez vous poser pendant votre
investigation.
103


Cette présence consciente n’est pas une création, n’est-ce pas ? Je
crée le « je suis » mais il y a quelque chose de plus réel que « Je
suis cette personne non-éveillée... » et c’est cette conscience, sati-
sampajañña. Cette conscience est continue, elle se maintient, tandis
que le sentiment d’être une personne peut partir dans n’importe
quelle direction. Quand vous pensez à vous-même, qui vous êtes,
qui vous devriez être, qui vous aimeriez être, qui vous ne voulez
pas être, à quel point vous êtes bon ou mauvais, merveilleux ou
horrible... tout cela tourbillonne et part dans tous les sens. Un
instant, vous pouvez penser que vous êtes quelqu’un de formidable
et l’instant suivant que vous êtes vraiment abominable. Par contre,
si vous prenez refuge dans la présence consciente, vos pensées,
quelles qu’elles soient, ne feront pas beaucoup de différence parce
que votre refuge est dans cette capacité à être présent et conscient,
et non dans les fluctuations et les détours de l’image erronée que
vous avez pris l’habitude d’avoir de vous-même (sakkāya-ditthi).
Voyez comme le fait de se prendre pour une « personne » est en
réalité comme un yoyo qui monte et descend tout le temps. Si
on vous félicite, vous vous sentez merveilleusement bien, vous
êtes merveilleux ; et si on vous critique, vous croyez être un cas
désespéré, vous êtes déprimé, une victime des circonstances.
Vous gagnez à la loterie et vous êtes fou de joie ; et puis on vole
votre argent et vous avez envie de vous suicider. C’est ainsi que
nous fonctionnons sur le plan « personnel » ; nous sommes très
dépendants des circonstances. Nous pouvons être terriblement
blessés par des paroles dures ou, à d’autres occasions, euphoriques
parce qu’on nous aura trouvés merveilleux, amusants ou épatants.
Durant mes premières années en tant que moine, j’étais assez fier
de ma capacité à observer le code de discipline monastique – le
Vinaya. J’étais vraiment très fort dans le Vinaya. Je le comprenais
bien et je l’observais scrupuleusement. Et puis, j’ai passé quelque
temps sur une île appelée Ko Sichang, face à Siraja, avec un
autre moine, et j’ai appris plus tard que ce moine avait dit que je
n’observais pas bien les règles du Vinaya. J’aurais voulu le tuer !
Alors, vous voyez, même le Vinaya peut être utilisé pour créer une
image de soi : « Suis-je un bon moine ? » Ensuite quelqu’un dit : «
Oh, Ajahn Sumedho est exemplaire, c’est un moine d’élite ! » et
je me sens merveilleusement bien. Et puis un autre dit : « Il n’est
vraiment pas bon ; il ne suit pas le Vinaya » et j’ai des envies de
meurtre. Voilà à quel point le « moi » est peu digne de confiance.
Nous pouvons nous élever jusqu’au plus bel altruisme et puis,
quelques secondes plus tard, sombrer dans des profondeurs de
dépravation. Le « moi » n’est absolument pas digne de confiance,
vous ne pouvez pas prendre refuge en lui. Même s’attacher à l’idée
de « Je suis un bon moine » est un refuge assez douteux. Si c’est
votre seul refuge et que quelqu’un déclare que vous n’êtes pas un
très bon moine, vous allez être furieux, blessé, offensé. Par contre,
envers et contre toutes ces fluctuations, sati-sampajañña demeure
constant. C’est pour cette raison que je le considère comme un
refuge. Quand on le voit, quand on le comprend, quand on le sait
et qu’on l’apprécie, c’est ce que j’appelle un refuge parce qu’un
refuge ne dépend ni des louanges ni du blâme, pas plus que du
succès ni de l’échec.
Pour apprendre à arrêter les pensées qui agitent l’esprit, il y a
différentes sortes de méthodes. Il y a, par exemple, le koan zen
ou pratique d’auto-questionnement, comme se demander « Qui
suis-je ? »” Ces techniques que l’on trouve dans le Zen et l’Advaïta
Vedanta ont pour but d’arrêter les pensées pour pouvoir prendre
conscience du pur état d’attention où l’on n’est pas prisonnier des
pensées ni de l’illusion d’un « moi » ; il n’y a qu’une pure présence
consciente. C’est là que l’on entend le son du silence parce que
l’esprit est précisément dans cet état d’attention et, dans cette
pure présence consciente, il n’y a pas de « moi » : c’est comme c’est.
Il faut ensuite apprendre à se détendre dans cette conscience, à lui
faire confiance, sans pour autant essayer de s’en saisir. On ne peut
même pas se saisir de l’idée : « Il faut que je trouve le son du silence
et que je me détende en lui ».” Pourtant c’est là que les choses
deviennent un peu délicates pour n’importe quelle technique ou
instruction de méditation : on a envie de se saisir de l’idée. Mais
la méditation est une pratique (patipadā). Il ne s’agit pas de s’y
attacher mais de développer la connaissance et la compréhension
grâce à la conscience éveillée, grâce à une connaissance directe de
la réalité.
Lorsque le « moi » commence à s’effriter, certaines personnes
prennent peur ; c’est comme si tout ce que nous avions cru solide
et réel jusque-là commence à se disloquer. Je me souviens qu’à
une époque, bien avant de devenir bouddhiste, je me suis senti
menacé par certaines idées radicales qui remettaient en cause la
sécurité de mon petit monde. Quand nous avons l’impression que
quelqu’un menace ou attaque quelque chose qui est essentiel à
notre tranquillité, nous pouvons devenir furieux, voire violents :
il met en péril mon monde, ma sécurité, mon refuge. C’est pour
cette raison que les conservateurs se sentent menacés par les
étrangers, par les idées radicales ou tout ce qui risque de bousculer
le statu quo ou les habitudes. Si on dépend de la stabilité de ce
monde pour se sentir en sécurité, tout changement peut créer une
véritable panique.
J’ai lu que, suite au terrible tremblement de terre qui a eu lieu en
Inde récemment, cent mille personnes ont été tuées. C’est arrivé
de nulle part. Des écolières s’entraînaient à marcher au pas, dans
la cour de l’école, pour une parade qui devait avoir lieu ; des
commerçants sortaient leurs étals sur le trottoir... C’était un jour
tout à fait normal. Et puis soudain, en l’espace de cinq minutes,
ces petites filles étaient écrasées sous les décombres de l’école et
toute la ville, avec ses vingt-cinq mille habitants, était ravagée –
tout cela est arrivé de nulle part. Imaginez quel impact cela peut
avoir sur l’esprit ! C’est vraiment effrayant de réaliser à quel point
le monde dans lequel nous vivons est peu sûr. Quand on regarde
de près tout ce qui se passe sur cette planète, cela paraît plutôt
inquiétant. Même si, au premier regard, tout nous semble bien
solide, la semaine dernière, à Gujarat, tous ces gens ont été tués.
Cet environnement leur paraissait sûr et stable mais soudain, venu
de nulle part, il y a eu un tremblement de terre et leur monde s’est
écroulé sur eux. Mais, même sans tremblement de terre, nous
savons bien qu’on peut toujours avoir une crise cardiaque ou une
hémorragie cérébrale, être renversé par une voiture ou avoir un
accident d’avion. Ce monde conditionné que nous percevons, que
nous créons et auquel nous nous accrochons est, de par sa nature,
extrêmement instable, incertain, peu fiable et changeant – c’est ainsi.
Le Bouddha a fortement souligné l’instabilité des phénomènes
conditionnés, leur impermanence. Ce n’est pas juste une
philosophie dont il espérait nous persuader. Nous explorons
le monde conditionné et nous voyons sa nature changeante
simplement à la façon dont nous le vivons, sur le plan physique,
émotionnel et mental. Mais qu’est-ce qui est conscient de cela ?
C’est en cela, en cette conscience éveillée, qu’est notre refuge, pas
dans la vaine tentative de trouver ou de créer des circonstances qui
nous donneront un sentiment de sécurité. N’essayons pas de tricher
avec nous-mêmes, de nous inventer un faux sentiment de sécurité
avec des pensées positives. Le refuge est dans l’éveil à la réalité
parce que l’inconditionné est la réalité. Cette présence consciente,
cet état d’éveil est la porte ouverte sur l’inconditionné. Quand on
s’éveille, c’est l’inconditionné ; voilà ce qu’est le véritable éveil.
Le conditionné est comme il est : fort ou faible, agréable ou
douloureux, et ainsi de suite. « Je suis une personne non-éveillée
qui doit méditer dur ! Je dois vraiment y travailler, me débarrasser
de mes poisons mentaux et devenir une personne éveillée un jour.
J’espère atteindre ‘l’entrée dans le courant’ avant de mourir mais,
si je n’y arrive pas, j’espère renaître dans un monde meilleur ».”
Nous réfléchissons ainsi, créant de plus en plus de complications.
Les gens me demandent : « Pouvons-nous atteindre ‘l’entrée dans
le courant’ ? Y a-t-il des Arahants ? » parce qu’ils conçoivent ces
choses-là comme des qualités personnelles. On regarde quelqu’un
et on dit : « Ce moine, là, est un Arahant » ou bien « Il est entré dans
le courant, c’est sûr ».” C’est ainsi que fonctionne notre mental
conditionné, il ne peut pas faire autrement. C’est pourquoi nous
ne devons pas nous y fier, nous ne devons pas prendre refuge
dans nos pensées ni dans nos perceptions mais dans la présence
consciente. Cela ne semble pas être grand-chose, presque rien, et
pourtant tout est là. Tous les problèmes sont résolus juste là !
L’esprit conditionné pense : « Ce n’est pas assez important Ce n’est
presque rien. La solution à tous les problèmes ne peut pas résider
simplement dans cette présence consciente ! » C’est alors que nous
apprenons à faire confiance à notre capacité à nous éveiller. Sinon,
si nous essayons de comprendre cela par la pensée, nous douterons
tout le temps : « Suis-je vraiment éveillé ? Suis-je assez éveillé ?
Peut-être devrais-je rester endormi plus longtemps pour mieux
m’éveiller plus tard ? Peut-être que si je continue à pratiquer
dans l’ignorance, j’en aurai tellement assez que j’arrêterai. » Si
vous partez de l’ignorance, comment pourriez-vous aboutir à la
sagesse ? Cela n’a aucun sens. Si vous cognez volontairement votre
tête contre un mur, vous pourriez arrêter au bout d’un moment
(si le cerveau n’est pas endommagé) et, effectivement, ce doit être
agréable après ! Mais, au lieu de voir les choses sous cet angle-là,
ayez plutôt confiance dans le simple fait d’être attentif et présent.
Ensuite, explorez et faites confiance à votre capacité à utiliser la
sagesse intérieure.
Certains d’entre vous se disent peut-être : « Oh, je n’ai pas
la moindre sagesse. Je ne suis rien du tout. Je n’ai jamais eu de
véritable révélation. » Et vous arrivez à vous convaincre que vous
n’y arriverez pas. Mais n’est-ce pas le niveau personnel qui parle ?
À ce niveau-là, vous avez peut-être l’impression que vous n’avez
rien à offrir mais ce n’est qu’une autre fabrication mentale. C’est
la même chose que : « Je suis une personne non-éveillée...” Quoi
que vous pensiez être – le meilleur ou le pire des individus – c’est
toujours une construction mentale que vous créez dans le présent.
Quelles que soient les idées que vous avez sur vous-même, aussi
raisonnables soient-elles, il s’agit toujours d’une création dans le
présent. Si vous y croyez, vous y pensez et vous vous y attachez,
vous êtes sans cesse en train de créer une forme de personnalité.
L’état d’éveil n’est pas une création ; c’est un acte immanent
d’attention dans l’instant présent. C’est pourquoi développer la
pensée délibérée : « Je suis une personne non-éveillée... » n’est
qu’un moyen habile pour pouvoir remarquer plus attentivement
et plus longuement ce que représente le fait d’être simplement
attentif, d’être parfaitement présent et conscient, tout en se
fabriquant une personnalité quelconque. On comprend vite que
cette image que l’on a de soi est clairement un objet mental ; elle
va et elle vient, on ne peut pas la maintenir. Comment pourriez-
vous maintenir en place cette pensée : « Je suis une personne non-
éveillée... » ? En y pensant tout le temps ? Si vous vous promeniez
en répétant cette phrase sans arrêt, on vous enverrait à l’hôpital
psychiatrique. La pensée apparaît et disparaît mais ce qui en a
conscience se maintient. Cette présence consciente n’est pas créée
par nous, elle n’est pas personnelle – elle est réelle.
Prenez également conscience de la fin, du moment où la phrase
s’arrête : « Je suis une personne non-éveillée qui doit pratiquer
la méditation pour devenir une personne éveillée un jour, dans
l’avenir. » La phrase s’arrête et il y a un vibrant silence ; il y a la
conscience. Les circonstances (ou « conditions ») apparaissent et
disparaissent toujours maintenant, dans le présent. La fin, c’est
maintenant. La fin de la condition, c’est maintenant. La fin du
monde, c’est maintenant. La fin du moi, c’est maintenant. La fin
de la souffrance, c’est maintenant. Nous pouvons voir le « moi »
apparaître... et puis disparaître ; et ce qui reste, quand une chose a
commencé puis s’est arrêtée, c’est la conscience : c’est ainsi. Cette
conscience de ce qui est, elle est lumineuse, claire, pure, vibrante.
Elle n’a rien d’une transe, elle n’est ni terne ni idiote.
Ces paroles sont destinées à vous encourager, à vous « donner le
pouvoir » comme on dit aujourd’hui. Allez-y ! Faites-le ! Ne restez
pas sur la touche à vous dire : « Je suis une personne non-éveillée
qui doit méditer vraiment beaucoup pour devenir quelqu’un
d’éveillé » et à vous lamenter, un peu plus tard, en disant : « Oh, il
me faut plus de temps ! » en vous justifiant, comme d’habitude, avec
des théories et des opinions. Si vous partez de l’ignorance, vous
finirez dans la souffrance. C’est ce que disent les enseignements
sur l’interdépendance des phénomènes (paticcasamuppāda) :
avijjāpaccayā sankhāra. Avijjā, c’est l’ignorance qui conditionne
(paccayā) les sankhāra (les formations mentales), lesquelles
affectent ensuite tout ce qui suit, et cela se termine par tristesse,
chagrin, désespoir et angoisse. Je vous encourage donc à ne pas
partir de l’ignorance (avvijā), mais de la pleine conscience (vijjā),
de la sagesse (paññā). Et puis soyez cette sagesse, plutôt qu’une
personne non sage qui essaie de devenir sage. Tant que vous
penserez : « Je ne suis pas encore sage mais j’espère le devenir »,
cela se terminera dans la tristesse, le chagrin, le désespoir et
l’angoisse. C’est aussi clair et net que cela. Ce qu’il faut, c’est
apprendre à avoir confiance, à être la sagesse maintenant,
à être éveillé.
Même si vous ne vous sentez pas du tout à la hauteur
émotionnellement, si vous avez des doutes ou de l’incertitude, des
craintes ou des peurs, dites-vous que les émotions sont ainsi. Mais
soyez-en conscient : « L’émotion, c’est cela ». C’est seulement une
réaction parce que, émotionnellement, nous sommes conditionnés
pour l’ignorance. Je suis émotionnellement conditionné pour être
une personne, pour être « Ajahn Sumedho ». « Ajahn Sumedho,
vous êtes merveilleux ! » et les émotions font « Ah ! ». « Ajahn
Sumedho, vous êtes un horrible moine et vous ne respectez pas le
Vinaya ! » et les émotions font : « Grrrr ! » Les émotions sont ainsi.
Si mon sentiment de sécurité dépend des louanges et de l’amour
des autres, de leur respect et de leur appréciation, du fait d’avoir
du succès et d’être en bonne santé, du fait que tout aille bien,
que mon entourage vive dans l’harmonie et que le monde soit
merveilleusement sensible à mes besoins, je me sens bien quand
tout le reste semble aller bien. Mais le contraire est vrai aussi. Si
j’entends parler de tremblements de terre, de persécutions, de
maltraitance, de moines qui abandonnent la vie monastique, de
blâme et de critique, je me dis : « Bah, la vie est affreuse. Je ne peux
plus supporter cela. Je suis tellement choqué, tellement blessé. J’ai
fait tant d’efforts pour rien, personne ne m’apprécie, personne
ne m’aime. » Cela, c’est la dépendance émotionnelle d’une
« personne » ; c’est un conditionnement personnel.

La claire conscience inclut toutes ces émotions en tant qu’objets
mentaux (ārammana) et non comme des sujets. Si on ne le sait pas,
on a tendance à s’identifier à ses propres émotions et ces émotions
deviennent soi. On devient cette chose émotionnelle terriblement
choquée parce que le monde ne la respecte pas assez.
Notre refuge est dans la réalité qui est au-delà de la mort, pas
dans ce qui est conditionné, changeant et instable. Si vous avez
confiance en la clarté de la conscience, alors le soi et toutes les
émotions qui l’agitent peuvent être vus tels qu’ils sont en réalité.
On ne les juge pas, on n’en fait pas un problème, on observe
simplement : « C’est ainsi.”
112


7 NE LE PRENEZ PAS PERSONNELLEMENT


« Il ne reste que trois semaines avant la fin du Vassa. » Dans
cette phrase, les mots représentent une perception du temps et
du changement dans le monde conditionné. « Vassa » est une
convention. L’automne ne dit pas : « Je suis l’automne » ; c’est
nous qui l’appelons « automne ». C’est une convention que nous
utilisons pour communiquer nos attitudes culturelles ou nos
accords sur le plan moral. Par contre, paramattha-sacca est la
réalité ultime ; à ce niveau-là, on est au-delà des conventions.
Les conventions sont fabriquées, inventées, et elles dépendent
d’autres facteurs. Ce qui est considéré comme bon selon certaines
conventions n’est pas acceptable selon d’autres. Nous avons tous
des préférences et des préjugés hérités de notre culture et de nos
conventions. En Angleterre, il y a toutes sortes d’idées reçues sur
les Français, les Allemands, les Italiens, etc.
Notre façon de percevoir les choses est basée sur une attitude
héritée de notre culture. C’est ainsi que nous formons nos idées
et nos opinions. Voilà pourquoi il y a des guerres entre différentes
ethnies, des préjugés raciaux, du snobisme social, etc. : parce que
nous ne remettons jamais en question la vision conventionnelle
que nous avons adoptée comme notre « réalité ». Nous y croyons.
La Conscience Intuitive
Nous avons des idées arrêtées sur notre religion, notre race et notre
culture que nous comparons à d’autres. Nous avons des idéaux
comme la démocratie, l’égalité, et tout cela, mais nous sommes
tout de même très influencés par les réalités conventionnelles qui
nous ont façonnés.
Il faut faire beaucoup d’efforts pour dépasser notre
conditionnement culturel. Étant Américain, il y a beaucoup de
choses que je considérais comme naturelles jusqu’à ce que je vive
dans une autre culture et que je réalise à quel point je pouvais
être arrogant. Je n’avais jamais imaginé à quel point l’idéalisme
américain m’avait aveuglé. C’était comme enfoncer nos idées dans
le crâne de tout le monde en disant que l’Amérique sait ce qui est
bon pour chacun et comment chaque pays devrait être gouverné.
Quand on grandit avec l’idée que l’on vit dans la société la plus
évoluée, tout cela est sous-entendu. Je ne pense pas que l’on m’ait
enseigné cela délibérément ; c’était sous-entendu ; c’était l’attitude
sous-jacente.
Il est difficile de dépasser ces croyances, ces attitudes que l’on
adopte inconsciemment. On ne sait même pas que l’on a ces
attachements jusqu’à ce que quelqu’un nous les renvoie au
visage ; c’est pour cela qu’il est bon de vivre dans différentes
cultures. Vivre en Thaïlande m’a aidé à ouvrir les yeux sur de
nombreux points car la culture, là-bas, est totalement différente.
Le fait de vivre dans un monastère bouddhiste où l’accent est mis
sur la réflexion, l’attention et la sagesse a été crucial. Je n’essayais
pas de devenir un « ersatz de Thaïlandais » mais j’apprenais à voir
toutes les petites choses qui, dans mon comportement et mes
préjugés, reflétaient mon conditionnement – des choses qui ne
sont pas faciles à voir tant qu’on n’en souffre pas particulièrement.

L’un des problèmes que nous avons en méditation, c’est une
attitude compulsive. Dans notre société, on nous apprend à être
obsédés et compulsifs. Il y a tellement de « il faudrait que... »
Quand nous avons beaucoup d’idées et d’idéaux au départ, notre
vocabulaire est plein de « il faudrait ». Cet idéalisme a son bon côté ;
il ne s’agit pas de l’étouffer mais de prendre conscience de ses
faiblesses. Par exemple, il nous donne le sentiment qu’il y a toujours
quelque chose à faire, quelque chose que nous n’avons pas fait et
qu’il faudrait faire : nous devrions travailler plus ou pratiquer
davantage, nous devrions être plus honnêtes, plus ouverts, plus
fervents, plus faciles à vivre, etc., etc. Tout cela est vrai. Les « il
faudrait » ont généralement raison. Si tout était parfait, je serais
parfait moi aussi. Je serais un idéal et ma société serait idéale.
Amaravati serait conforme à l’idéal. Nous serions tous parfaits.
Il n’y aurait donc plus rien à faire puisque nous aurions atteint
l’excellence. Mais la vie n’est pas ainsi. Une idée est quelque chose
que nous créons, n’est-ce pas ? Les idées nous viennent de ce que
nous considérons comme le meilleur, le plus beau, le plus parfait
ou le plus juste. Mais le Bouddha, lui, nous propose de voir la vie
telle qu’elle est, et la vie est changement. Elle ne s’en tient pas
toujours à ce qu’il y a de mieux, n’est-ce pas ? On ne peut s’attacher
à rien. Imaginons, par exemple, que vous regardiez des fleurs, des
roses dans un vase. Parfois, on tombe sur une rose absolument
parfaite dans sa forme, sa couleur, son parfum, mais on ne peut
pas la garder ainsi. Elle ne demeure aussi parfaite que brièvement
puis elle commence à décliner et, après, on n’a plus qu’une envie :
s’en débarrasser, la jeter et la remplacer par une autre.
Quand on développe l’attention, on est conscient du changement,
de la façon dont les choses changent. En méditation, nous sommes
conscients du changement dans nos humeurs et nos sentiments,
par exemple. Quand nous pensons à la façon dont les choses «
devraient » être, nous retombons dans des projections idéales
puis nous nous comparons à elles : ce qu’est une bonne pratique,
combien d’heures par jour on devrait s’asseoir en méditation,
comment on devrait faire ceci ou cela, etc. Nous pouvons
fonctionner à partir de ces idées, qui sont souvent très bonnes,
mais le problème est que, même si on arrive à s’y tenir, il en vient
toujours plus, il y a toujours quelque chose d’autre qui serait
encore mieux. C’est sans fin. On n’arrive jamais à la racine du
problème. On continue jusqu’à ce que réapparaisse ce sentiment
de quelque chose qu’on devrait faire encore. Au bout du compte,
on finit parfois par abandonner en se disant : « J’en ai assez. Ras-le
bol. Je vais simplement profiter de la vie. Je vais me défroquer et
passer du bon temps. Boire, manger et faire la fête jusqu’à la mort ».
Parce qu’il y a des limites à l’autodiscipline. Il arrive un moment
où on ne peut plus la supporter et où ce mode de fonctionnement
ne marche plus.
Il est assez normal d’écouter les « il faudrait » quand on pense à
quelque chose. Certaines personnes considèrent qu’il ne faudrait
jamais penser ces mots ! Il s’agit simplement de prendre conscience
de la façon dont les choses nous touchent, ce sentiment qu’il y a
quelque chose de plus que je crois devoir faire. J’ai un bon exemple :
c’est l’histoire d’un rêve qui me revenait souvent pendant mes
premiers mois auprès d’Ajahn Chah. En 1963, j’ai terminé une
maîtrise à l’université de Berkeley, en Californie. Ce fut une
année d’étude compulsive et vraiment intense. Je ne pouvais pas
m’amuser car dès que je faisais quelque chose pour me distraire,
je me disais : « L’examen approche. Tu dois réussir ta maîtrise ».
J’allais à une fête, j’essayais de me détendre et j’entendais cette
voix qui disait : « Tu ne devrais pas être ici. Tu dois passer cet
examen et tu n’es pas prêt. Tu n’es pas assez bon pour y arriver ».”

Donc, pendant toute cette année-là, je n’ai pas pu me détendre.
Je ne faisais que me pousser à la tâche. Après ma maîtrise, j’ai été
incapable de lire un livre pendant six mois ; mon esprit refusait
de se concentrer. Ensuite, j’ai suivi l’entraînement dans le Peace
Corps9 à Hawaï. J’étais censé lire toutes sortes de documents mais
je n’y arrivais pas ; je ne pouvais même pas lire les instructions. J’en
avais trop supporté. Tout cela a laissé des traces très fortes : quand
j’entreprenais quelque chose, soit je me disais : « Je n’y arriverai
pas » et j’abandonnais complètement, soit je me remettais en
mode compulsif.
Quand je suis allé vivre auprès d’Ajahn Chah, j’ai eu un rêve
récurrent à cause de tous les efforts que j’investissais dans ma
pratique. Dans ce rêve, j’entrais dans un café, je m’asseyais, je
commandais une tasse de café et une bonne pâtisserie, et puis
j’entendais cette voix qui disait : « Tu ne devrais pas être ici. Tu
devrais être en train d’étudier pour ton examen ».” Ce rêve revenait
très souvent et je me demandais ce qu’il essayait de me dire. Alors,
mon esprit compulsif pensait : « Il y a sûrement quelque chose que
je ne fais pas et que je devrais faire. Je devrais pratiquer plus. Je
devrais être plus attentif. Je ne devrais pas dormir autant ».” En
réalité, je ne dormais pas beaucoup mais j’étais persuadé que ce
rêve était un 43 message, qu’il me disait qu’il y avait quelque chose
que je ne faisais pas et que j’aurais dû faire. Je me demandais : «
Mais de quoi s’agit-il donc ? » Je pouvais difficilement pousser mes
efforts au-delà de ce que je faisais déjà, alors je ne comprenais pas.
Et puis un matin, après avoir fait ce rêve, je me suis réveillé et la
réponse était là, et la réponse était qu’il n’y avait pas d’examen !
9. Organisation américaine de coopération et d’aide aux pays en développement.

J’ai compris alors que je vivais ma vie comme si j’allais toujours
être évalué ou conduit devant les autorités pour être mis à
l’épreuve et que je ne serais jamais prêt ou jamais à la hauteur.
Il y avait toujours plus à faire : je pouvais étudier plus, lire plus,
faire les choses plus à fond ; il ne fallait pas que je sois paresseux ;
je ne devais pas m’amuser parce que ce serait perdre mon temps,
parce que l’examen approchait et que je n’étais pas prêt. C’était
une espèce de conditionnement émotionnel que j’avais acquis
parce que le système scolaire américain est très compétitif : on
commence à cinq ans et on ne s’arrête plus.
J’ai donc eu cette révélation : il n’y avait pas d’examen. C’était
moi qui avais cru qu’il y en aurait et j’avais vécu tout ma vie avec
cette attitude, avec l’impression qu’une épreuve très importante
allait se présenter et je n’y serais pas prêt. C’était peut-être aussi
lié à mon éducation religieuse où on me disait : « Au moment de
la mort, il y aura le jugement dernier et on verra si tu as été assez
bon pour aller au paradis, sinon, ce sera l’enfer ».” On a toujours
cette impression qu’il y a quelque chose que l’on devrait faire : je
dois me débarrasser de ceci ; je dois devenir quelque chose que je
ne suis pas ; ce que je suis n’est pas assez bien.
Quand je suis entré dans la vie monastique, j’ai apporté avec moi
cette tendance à me pousser. Je faisais d’énormes efforts pour
méditer et j’ai tenu bon pendant un certain temps mais, ensuite,
j’ai réalisé que cela ne pouvait pas être le but de la vie monastique.
Si je voulais rester moine, il fallait que je le comprenne. C’était
seulement ma façon d’interpréter la vie monastique à partir de
cette habitude compulsive. Le rêve a disparu dès que j’ai trouvé la
réponse à l’énigme.
L’une des trois premières entraves est sakkāya-ditthi, l’image que
l’on a de soi. C’est quelque chose que l’on acquiert très vite après
la naissance. Ce n’est pas inné, c’est acquis. Bien entendu, quand
on grandit dans un environnement très compétitif, on se compare
aux autres et à un idéal. On estime sa propre valeur en fonction
de ce qu’il y a de mieux et, si on ne se situe pas dans la meilleure
catégorie, on se considère comme pas assez bien. Même les
personnes que je considérais comme les meilleures ne se voyaient
pas ainsi elles-mêmes. Nous croyons parfois que les autres sont
beaucoup plus heureux que nous, qu’ils s’en sortent bien mieux
que nous, mais c’est seulement notre projection.
Quand le Bouddha souligne l’importance de l’attention comme
étant « la voie », il nous propose de voir les choses telles qu’elles
sont, pas seulement ce qu’il y a de meilleur. Le matin, à Wat Pah
Pong10, il y avait une lecture des sutta11 à propos de la façon dont les
moines doivent se comporter et, bien sûr, le modèle proposé était
idéal. Je me demandais comment interpréter cela, je voulais vivre à
la hauteur de cet idéal et j’ai fini par me dire : « En suis-je capable ? »
On peut être découragé et s’en vouloir quand on se compare sans
cesse à un idéal, dans la vie. Pourtant, l’enseignement du Bouddha
n’est pas fondé sur des idéaux mais sur le Dhamma, c’est-à-dire sur
« ce qui est ».
Dans la méditation pénétrante ou vipassanā, on se connecte à
la notion d’impermanence – à la tragédie. Il ne s’agit plus de la
façon dont les choses devraient être mais de comment elles sont
en réalité. Tous les phénomènes conditionnés sont impermanents.
On ne dit pas « tous les phénomènes conditionnés devraient être
impermanents ».” Ils le sont et c’est tout.
10. Le monastère d’Ajahn Chah au nord-est de la Thaïlande.
11. Les discours ou enseignements du Bouddha.

Nous nous ouvrons à l’impermanence. Il ne s’agit pas de projeter
cette idée sur la vie
mais d’utiliser notre intuition pour nous ouvrir, pour observer,
pour accorder toute notre attention à ce qui est. À ce moment-là,
nous sommes conscients du changement.
Nous sommes même conscients de notre attitude compulsive, de
ce sentiment qu’il y a toujours « quelque chose que je dois faire ».”
Nous sommes conscients de cette attitude ou de cette croyance
obsédante que nous sommes une personne pleine de défauts et
de faiblesses – et nous nous croyons honnêtes et réalistes en le
pensant. Ensuite, nous nous disons que, pour nous « éveiller »,
pour devenir un Arahant, nous devons dépasser tout cela, nous
en débarrasser d’une manière ou d’une autre. Il devient évident
que c’est ainsi que fonctionne le mental. C’est souvent ainsi que
nous interprétons les Écritures. Cependant, si l’on fait preuve
d’une réflexion claire et consciente, on constate qu’une telle façon
de penser est le fruit de notre propre création mentale : « Je suis
une personne qui a beaucoup de défauts et de faiblesses, et je dois
méditer beaucoup pour les vaincre ».” Il s’agit là d’une fabrication
mentale. Nous créons cette attitude. Ce n’est pas la réalité, c’est
une fabrication mentale. Par contre, ce qui en est conscient, c’est
un état d’être éveillé. Nous commençons à bien faire la distinction
entre cette conscience éveillée et ce que nous créons à cause de
nos habitudes fondées sur des attachements.
Nous utilisons le mot « Bouddho », le nom même du Bouddha,
« ce qui sait ».” C’est un mot riche de sens car il se réfère à un
état d’attention, de connaissance directe, de conscience intuitive,
de sagesse. Il n’y a pas de « personne ». Si je disais : « Je suis le
Bouddha », cela viendrait d’une personne, ce serait une
identification mais ce n’est pas le cas. Nous prenons refuge dans
le Bouddha (Buddham saranam gacchāmi) et c’est aussi une sorte
de convention mais qui souligne une réalité dans laquelle nous
pouvons commencer à avoir confiance : l’attention pleinement
présente et consciente. Parce que le Bouddha est bouddho, ce
qui sait, ce qui est éveillé et conscient. C’est un état de présence
attentive qui ne porte aucun jugement, ne formule aucune critique.
Le Bouddha ne dit pas : « Vous devriez être comme ceci. Vous ne
devriez pas être comme cela ».” Cet état, c’est simplement savoir
que tous les phénomènes conditionnés sont ainsi, tels qu’ils sont.
Quand on est élevé dans une religion comme le Christianisme, Dieu
nous dicte la façon dont nous devrions nous comporter : « Tu dois
être un bon garçon ; chaque fois que tu agis mal, tu fais de la peine
au Bon Dieu ; si tu dis des mensonges, Dieu sera très déçu ».” Voilà
le genre d’éducation morale que reçoivent les enfants – en tout
cas, c’est ainsi que l’on m’a éduqué. Il est évident qu’elle reflète la
façon de penser des parents. La perception des parents et celle de
Dieu en tant que figure parentale sont complètement mélangées.
Mais pour éveiller l’état de présence consciente, il faut apprendre
à écouter et à faire confiance à l’état d’être le plus simple qui soit.
Il ne s’agit pas de jhāna, de concentration profonde sur quoi que
ce soit. C’est une attention pure et simple. Alors, si vous avez
confiance dans cette pureté, vous n’y trouvez aucun défaut. Elle
est parfaite. Il n’y a pas d’impureté. Voilà en quoi il faut placer sa
confiance : dans l’attention à l’instant présent. Si on essaie de le
trouver, on se met à douter. Faites-lui confiance au lieu d’y penser.
Ayez simplement confiance dans le fait immanent d’être éveillé
et pleinement attentif à l’instant. Quand je pratique ainsi, mon
esprit se détend et j’entends le son du silence. Il n’y a pas de «
moi » ; il y a la pureté. Si je commence à penser que je devrais
faire quelque chose, j’en suis conscient. J’ai conscience qu’il s’agit
du kamma-vipāka (résultat de l’action), la conséquence d’une
éducation dans le système américain et d’une pression énorme
que je me suis imposée pendant des années. Il est naturel que
kamma-vipāka apparaisse mais, dans cet état de pureté, ce n’est
pas personnel. Cette voix ne dit pas : « Ajahn Sumedho est pur, à
présent ».” Cela va bien au-delà. On ne peut pas en parler de manière
personnelle ; on reconnaît simplement un état, on en prend
conscience. Cela, c’est ce que nous sommes vraiment, ce n’est pas
une fabrication mentale. Je ne crée pas la pureté, je n’en fais pas un
idéal pour m’illusionner ensuite à son propos.
C’est là que la confiance entre en jeu parce que l’image que nous
avons de nous-mêmes va protester : « Il n’y a rien de pur en moi. Je
viens juste d’avoir de mauvaises pensées. Je suis furieux de ce que
cette personne a dit de moi. Après toutes ces années de pratique,
je suis encore plein d’impuretés ».” Cela, c’est notre vieux tyran
intérieur ; c’est l’image que nous avons de nous-mêmes. C’est un
vrai tyran, à la fois tourmenté et tourmenteur. En tant que victime,
il dit : « Pauvre de moi, je suis tellement impur », mais en tant
qu’accusateur, il dit : « Tu n’es pas assez bon, tu es impur ».” Les
deux à la fois ! On ne peut pas s’y fier. Ne prenez pas refuge dans
l’état de tourmenté ni dans celui de tourmenteur. Par contre, vous
pouvez faire confiance à l’état de présence consciente éveillée.
C’est une confiance qui nous rend humble – pas comme lorsque
l’on croit en quelque chose. Ici, nous apprenons à nous détendre
et à être, tout simplement. Nous avons confiance en notre capacité
à être juste ici, ouverts et réceptifs à tout ce qui peut se passer.
Même si ce qui se passe est déplaisant, quelles que soient les
circonstances, ce n’est pas un problème dans la mesure où nous
pouvons avoir confiance dans cette pureté.
Prenons le Vinaya, par exemple, l’idée d’essayer de suivre
parfaitement toutes les règles monastiques pour rester aussi pur
que possible. C’est l’image de soi qui s’y attache : « Mon Vinaya est-
il aussi pur que celui des autres ou l’est-il moins ? » À ce moment-
là, vous utilisez la convention que sont les règles pour renforcer
votre sentiment de valeur ou de nullité personnelle. Si vous vous
croyez plus pur que les autres, c’est de l’arrogance. Si vous vous
croyez impur, vous allez désespérer : « Je n’y arrive pas. Autant
aller se soûler et oublier tout cela ».” Mieux vaut vous détendre
un peu et faire quelque chose d’agréable. Ce sera mieux que vous
culpabiliser de votre incapacité à vivre à la hauteur de vos idéaux. »
Peut-être pensez-vous que les conventions sont parfaites mais, en
réalité, elles ont leurs limites car leur nature est d’être imparfaites
et changeantes. Alors, au bout d’un certain temps, vous allez
commencer à critiquer les conventions parce que vous percevrez
leurs faiblesses : elles ne sont pas aussi justes que vous le pensiez,
pas cohérentes, etc. Mais il faut prendre conscience qu’une
convention est comme tout le reste : impermanente, insatisfaisante
et impersonnelle. Le bouddhisme Theravada est une convention
basée sur la moralité : on fait le bien et on s’abstient de faire le
mal, en actions et en paroles. C’est une façon de vivre qui implique
que nous acceptions la responsabilité de notre comportement sur
cette planète et dans cette société. La convention du bouddhisme
Theravada, qu’elle vous convienne ou pas, est une tradition qui tire
sa grande force du fait qu’elle est très ancienne et, en même temps,
parfaitement d’actualité. Elle est encore utile et fonctionnelle
aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’exiger qu’elle soit parfaite pour
accepter de l’utiliser mais d’apprendre à l’utiliser pour éveiller en
nous une présence consciente.
Sinon, on tombe dans les vieilles positions du Mahāyāna, Vajrayāna
et Hīnayāna. Le Theravada est considéré comme « Hīnayāna »,
c’est-à-dire « le petit véhicule », ce qui peut donner l’impression
qu’il est inférieur aux autres. Dans ce cas, la logique voudrait que le
Mahāyāna, « le grand véhicule », soit meilleur, et que le Vajrayāna
soit le top du top. Selon les Tibétains, on ne peut pas trouver mieux
que le Vajrayāna ; c’est le plus grand des véhicules. Mais là, nous
pensons en termes de bon, meilleur et encore meilleur or ce ne
sont que des conventions. Qu’on les appelle Mahāyāna, Vajrayāna
ou Hīnayāna, cela reste des conventions, autrement dit, elles ont
leurs limites, elles sont imparfaites. Elles ont leur utilité et on peut
s’en servir pour développer l’attention mais pas pour s’y attacher
ou pour se positionner dans un sens ou dans l’autre.
Tous ces termes peuvent causer beaucoup de divisions. Nous
risquons, par exemple, de nous attacher au Theravada et
commencer à dénigrer toutes les autres formes de bouddhisme
en disant qu’elles ne sont pas pures, qu’elles ne sont pas le
bouddhisme originel. Elles sont peut-être plus élevées mais pas
originelles. Nous risquons de devenir arrogants en ayant notre
propre façon de justifier notre convention. Mais tout cela revient
à jouer sur les mots. Si nous y regardons de près, nous voyons que
c’est avec les mots que nous créons le Mahāyāna, le Vajrayāna et
le Hīnayāna dans notre tête. Notre refuge est dans le Bouddha,
pas dans ces « yana ». Le Bouddha, c’est ce qui sait que toutes
les pensées ne cessent de changer et sont impersonnelles. Alors,
ayez confiance dans cela, dans la simplicité de ce savoir. Sinon,
vos vieilles habitudes compulsives de pensée vont se réveiller : « Il
faut que j’en fasse plus, que je développe ceci, que je devienne un
Bodhisattva. Il faut absolument que je m’entraîne à la plus élevée
des pratiques », et ainsi de suite.
Quand on est pris dans ces conventions et que l’on ne connaît rien
d’autre, on se laisse facilement impressionner ou aveugler par les
opinions, les attitudes et les idées que les gens nous lancent à la
figure. À ce moment-là, il s’agit de faire confiance à la présence
consciente et non pas de chercher à obtenir ce qu’il y a de mieux
ou de souhaiter aller vers quelque chose de meilleur que ce que
l’on a – ce qui ne serait qu’une nouvelle fabrication mentale.
Quand on pose les bases de ce qui est juste pour nous, la question
n’est pas que ce soit le meilleur mais que ce soit suffisant pour
nous maintenir en vie et en bonne santé.
Dans la vie monastique bouddhiste, « les quatre nécessités »
(vêtements, nourriture, abri et médicaments) en sont un bon
exemple. On n’a pas besoin d’avoir la meilleure des nourritures ni
les plus beaux vêtements ; simplement ce qui est utile pour survivre.
Est-ce un problème d’avoir un lieu de vie ou un médicament en cas
de maladie ? Il n’est pas nécessaire que ce soit ce qui se fait de mieux.
En fait, la norme serait plutôt que ce soit le plus modeste possible
; par exemple des vêtements faits à partir de vieux tissus rapiécés
plutôt qu’en soie. Et puis on reçoit l’enseignement du Dhamma et
on suit les règles du Vinaya. Cela nous donne le sentiment d’avoir
trouvé notre place. Même si la norme est très modeste, quand le
Dhamma est enseigné, que le Vinaya est respecté et que les quatre
nécessités sont convenables, c’est bien assez bon. Alors, lancez-
vous ! Lancez-vous dans la pratique au lieu de vous plaindre du
reste. Mieux vaut développer la présence attentive que suivre vos
penchants à la critique ou au doute vis-à-vis des gens qui vous
entourent et des lieux où vous êtes.
J’ai observé cette attitude compulsive chez moi jusqu’à vraiment la
voir clairement. C’était très insidieux, pas comme une révélation
qui arrive d’un coup. Cela m’a fait penser à la façon dont j’abordais
la vie en général : pleine de « il faudrait que », avec ce sentiment
qu’il y a quelque chose que je devrais être en train de faire ou de
ne pas faire. Observez cela, écoutez-le en vous et apprenez à vous
détendre et à faire confiance à votre refuge. C’est une véritable
leçon d’humilité parce que cela n’a pas l’air très important. Être
attentif à l’instant présent ne semble pas avoir une bien grande
portée : « Et alors ? Ce que je veux, c’est savoir ce que je devrais
faire. Dites-moi quoi faire ! Combien d’heures par jour dois-je
méditer assis ? Combien d’heures dois-je méditer en marchant
? Que faut-il que je développe surtout ? Devrais-je pratiquer
davantage mettā, la bienveillance ? » Nous voulons quelque chose
à faire et nous nous sentons mal à l’aise quand il n’y a rien à faire
et nulle part où aller. Dans la vie monastique, il y a effectivement
des conventions et une certaine structure : nous avons les pūjā
(méditations et pratiques dévotionnelles) du matin et du soir, nous
avons les récitations les soirs de pleine lune et de nouvelle lune,
et la quête de nourriture. Tout cela fait partie de notre tradition
et nous donne une structure conventionnelle qui est là pour nous
aider à faire quelque chose. Comme sīla (la conduite vertueuse)
qui sert de pilier dans nos comportements, tout cela structure la
communauté.
Quand les gens font des retraites en solitaire, ils abandonnent la
structure et se retrouvent livrés à eux-mêmes. Que se passe-t-il
quand on est seul et que personne ne sait ce que l’on fait ? On n’a pas
besoin de vérifier si l’abbé nous surveille. On est livré à soi-même
de sorte qu’on pourrait dormir toute la journée, lire des romans
ou faire de longues promenades – ou bien on pourrait méditer
vraiment intensément. Il y a tout un éventail de possibilités et
c’est à nous d’observer ce que nous ressentons quand la structure
disparaît. Il ne s’agit pas de se juger et de recommencer avec les
« il faudrait que ». « Il faudrait que je médite tant d’heures par
jour : assis, tant d’heures ; en marchant, tant d’heures ; faire ceci,
faire cela ; trouver une profonde concentration ; vraiment avancer
dans la pratique. » Je ne dis pas qu’il soit mal de fonctionner ainsi
mais cela risque d’être très contraignant. Si vous n’êtes pas à la
hauteur de vos propres attentes, qu’allez-vous ressentir ? Allez-
vous ployer sous le poids de la culpabilité si vous ne faites pas ce
que vous étiez déterminé à faire ? Observez le fonctionnement de
l’esprit et comprenez-le bien.
C’est facile quand il y a un maître à la forte personnalité qui vous
dit de faire ceci et de faire cela, et tout le monde va et tout le
monde vient, et tout le monde marche au pas. Cela peut être un
bon entraînement mais cela peut également réveiller résistance et
rébellion chez ceux qui n’apprécient pas. Mais d’autres n’apprécient
pas qu’on ne leur dise pas quoi faire parce qu’ils sont laissés dans
le doute ; ils aiment la sécurité qu’apporte le ferme contrôle d’un
chef. N’oublions pas que cette vie monastique est faite pour que le
coeur et l’esprit se libèrent. Certains guides autoritaires peuvent
vous intimider ou vous manipuler émotionnellement en disant :
« Si vous voulez vraiment me faire plaisir, faites ceci » ou bien :
« Je ne peux pas vous approuver si vous ne vous conduisez pas
correctement », etc. Je pourrais utiliser mon pouvoir émotionnel
pour essayer de contrôler et de manipuler les situations mais ce ne
serait pas très intelligent. Ce n’est pas pour cela que nous sommes
ici. Chacun doit assumer sa propre responsabilité, n’est-ce pas ? Il
s’agit de s’éveiller.
Mais ne croyez pas qu’il faut vous réveiller simplement parce
qu’Ajahn Sumedho l’a dit. S’éveiller est un simple acte imminent
d’attention : on est ouvert, détendu et on écoute, présent à ce qui
est ici et maintenant. S’éveiller, c’est apprendre à reconnaître
cela, à l’apprécier de plus en plus et à faire confiance car vous êtes
probablement programmé émotionnellement pour le contraire,
avec des « je devrais » ou des « je ne devrais pas ». Ce que nous
essayons de faire ici, c’est de créer une situation où chacun est
encouragé à faire confiance à cela et à le cultiver. Quand je dis «
cultiver », cela ne veut pas dire qu’il y a quelque chose à faire. C’est
plutôt apprendre à se détendre et à avoir confiance dans le simple
fait d’être, suivre le mouvement de la vie. Parce que la vie est ainsi ;
la vie change. Le changement a été très visible toute cette dernière
année ici, à Amaravati. Il y a eu la construction, l’ouverture et
tout ce qui allait avec. Maintenant, cette période est terminée ; les
choses ont changé. C’est ainsi.
Je me rappelle la première fois où je suis allé à Wat Pah Pong.
Il y avait un tel esprit de corps ! Nous étions vraiment présents
aux côtés d’Ajahn Chah. Il n’y avait que vingt-deux moines et
nous progressions réellement. Nous étions un vrai bataillon
d’élite, de première classe. Ensuite, au bout de quelques années,
j’ai commencé à voir des choses que je n’aimais pas et à les
critiquer ; je craignais que tout ne s’écroule. Ensuite, après l’AVC
d’Ajahn Chah, j’ai vu que tout s’effondrait effectivement. Je me
souviens être retourné là-bas quelques années plus tard. À Wat
Pah Pong, il y avait désormais un monastère intérieur où vivaient
les moines et puis, à l’extérieur, un kouti spécialement conçu pour
qu’Ajahn Chah reçoive des soins et pour toutes sortes de choses. En
plus, il y avait une salle de méditation extérieure pour les visiteurs.
Finalement, les gens allaient vers cette salle de méditation et
n’entraient jamais dans le monastère. Tout ce qu’ils voulaient,
c’était voir Ajahn Chah qui, lui, était malade et ne pouvait ni
parler ni faire quoi que ce soit. Tout l’accent était mis sur son
kouti et aucun moine ne voulait vivre dans le monastère. Je
me souviens qu’une fois il n’y avait que trois moines dans cet
immense monastère, Ajahn Liam et quelques autres, et l’endroit
n’était guère reluisant. Autrefois les lieux étaient bien entretenus,
parfaitement propres. Ajahn Chah était très exigeant sur l’ordre :
les allées étaient bien balayées et tout était soigneusement réparé.
Et voilà que soudain, ces lieux ressemblaient à une ville fantôme
avec tous ces koutis vides qui avaient besoin de réparation, qui
étaient sales et poussiéreux, les allées n’étaient pas balayées, et
tout à l’avenant. Des gens de Bangkok sont venus vers moi et m’ont
dit : « Bah, ce lieu n’est plus ce qu’il était. Nous voulons que vous
reveniez prendre la tête du monastère ».” Ils pensaient que je
devais retourner en Thaïlande pour prendre la suite d’Ajahn Chah.
Les choses avaient pris une tournure qui ne leur paraissait pas
juste. Mais, aujourd’hui, il y a cinquante moines et le monastère
fonctionne à pleine capacité.
Les choses changent, alors nous nous ouvrons au changement. Il
ne s’agit pas d’espérer un changement qui nous conviendrait ou,
si tout est parfait, que les choses demeurent telles qu’elles sont.
C’est impossible. Vous pouvez, en vous-même, être conscient des
moments où vous êtes au mieux de votre forme ou abattu, quand
vous vous sentez bien, inspiré, amoureux de la vie et quand vous
êtes triste, désespéré, seul, déprimé ou découragé. Cette prise de
conscience est votre refuge : être conscient du flux changeant des
ressentis, des attitudes, des humeurs, des changements matériels
et émotionnels. Restez avec. Voilà un refuge indestructible, qui ne
change pas. C’est un refuge auquel vous pouvez vous fier. Vous ne
l’avez pas fabriqué mentalement, ce n’est pas un idéal. C’est très
concret et très simple mais on peut facilement passer à côté sans
le voir. Quand on est attentif, on commence à voir ces choses-là :
c’est ainsi.
Par exemple, quand je suis conscient que cet instant est un pur
instant de présence, j’en prends note mentalement. C’est la
voie ; c’est la pureté. Ce n’est pas quelque chose que je suis en
train d’inventer, c’est juste cet état d’attention. Pas une attention
comme « Achtung ! » mais une attention détendue ; on écoute, on
est ouvert et réceptif. Quand on se détend dans cette attention,
c’est un état naturel, pas fabriqué par le mental. Il ne dépend
pas des circonstances extérieures. Le seul problème, c’est que
nous l’oublions tout le temps et que nous retombons dans nos
vieilles habitudes. Voilà pourquoi l’attention est si importante :
avec l’attention, nous nous en souvenons mieux, nous lui faisons
davantage confiance, et nous développons cette façon de nous
ramener dans cette présence consciente. Ensuite, nous nous
laissons à nouveau entraîner vers l’extérieur et nous revenons.
Nous continuons à faire ces allers-retours. Peu importe si les
émotions ou les pensées sont récalcitrantes, dures ou vagabondes.
Tout va bien, c’est notre refuge.
Nous pouvons appliquer cette présence consciente à tout ; par
exemple, aux blessures personnelles. Si quelqu’un vous dit
quelque chose de blessant, posez-vous la question : « Qu’est-ce
qui est blessé ? » Si quelqu’un m’insulte et que je me sens meurtri
ou incompris, offensé, agacé ou même furieux, qu’est-ce qui est
furieux et agacé, qu’est-ce qui est offensé ? Est-ce là que se trouve
mon refuge ? Dans cette personne dont les sentiments sont
blessés, qui est bouleversée ? Si mon refuge est dans la présence
consciente, celle-ci n’est jamais perturbée par quoi que ce soit. On
peut la traiter de ce qu’on veut. Par contre, en tant que personne,
je suis vite contrarié parce que c’est ainsi que fonctionne l’image
que l’on a de soi ; elle est basée sur l’idée que je suis quelqu’un qui a
une certaine valeur, qui est apprécié ou pas, compris ou incompris,
respecté ou pas, et ainsi de suite.
En tant que « personne », je donne prise à toutes les blessures,
les offenses et les contrariétés. Mais cette personne n’est pas mon
refuge. Si votre personnalité ressemble à la mienne, je ne vous
conseillerais pas de la prendre comme refuge ; je ne conseillerais
jamais à personne de prendre refuge dans ma personne. Mais dans
la présence consciente, oui, parce que la présence consciente est
pure. Si vous lui faites de plus en plus confiance, même si vous
vous sentez blessé, contrarié, maltraité, mal aimé et non apprécié,
la présence consciente sait que tout cela est impermanent. Elle ne
juge pas, elle ne crée pas de problèmes. Elle accepte pleinement
le sentiment que « personne ne m’aime, tout le monde me
déteste » comme un simple sentiment qui disparaîtra de lui-même
naturellement. Il passera parce que sa nature est de changer.
Où l’eau, la terre, le feu et l’air perdent-ils pied ?
Où le long et le court, le grossier et le fin
Le beau et le laid, le nom et la forme
Prennent-ils fin ?
Dans la conscience sans attributs, sans limites
Et qui ne connaît pas le devenir.
Voilà où l’eau, la terre, le feu et l’air perdent pied.
Voilà où le long et le court, le grossier et le fin
Le beau et le laid, le nom et la forme
Prennent tous fin.
Avec la cessation qu’apporte la conscience
Toute chose arrive à sa fin.
Kevaddha Sutta (longs discours)
132


8 LA CONSCIENCE


La conscience est un sujet qui est devenu très important de nos
jours. Nous faisons tous l’expérience de la conscience et nous
voulons la comprendre et la définir. Certaines personnes disent
que la conscience est l’équivalent de la pensée ou de la mémoire.
J’ai entendu des scientifiques et des psychologues dire que les
animaux n’ont pas de conscience parce qu’ils ne pensent pas et
n’ont pas de souvenirs. Cela me semble ridicule. En ce moment
précis, en tout cas, ceci est la conscience. Nous écoutons, c’est tout
– c’est la pure conscience tant que la pensée ne s’enclenche pas.
Observez simplement cela : la conscience est ainsi. J’écoute, je suis
avec l’instant présent, je suis présent, ici, maintenant. On prend le
mot « conscience » et on se dit mentalement : « la conscience est
ainsi ». C’est là qu’apparaissent la pensée, le ressenti et l’émotion.
Quand nous sommes inconscients, nous ne ressentons rien, nous ne
pensons pas. Ainsi, la conscience est comme le champ qui permet
à la pensée, à la mémoire, à l’émotion et au ressenti d’apparaître
et de disparaître.
La conscience n’est pas personnelle. Pour qu’elle le devienne, il
faut qu’on se l’approprie : « Je suis une personne consciente ». Mais
s’il n’y a que la présence consciente, on pénètre dans l’observation
de l’instant et alors, la conscience est ainsi. Ensuite, on peut être
attentif au son du silence ; juste maintenir cette écoute, être
La Conscience Intuitive
capable de se poser dans un état naturel de conscience non-
personnel et sans attachement. Voir cela, c’est comme s’informer
ou s’éduquer soi-même à ce qui est. À la naissance, la conscience
qui habite cette forme, ce corps particulier, commence à opérer.
Un nouveau-né est conscient mais il n’a pas de concept sur lui-
même comme être un garçon ou une fille ou quoi que ce soit. Ces
notions sont acquises après la naissance.
Notre monde est un monde conscient. Nous pensons peut-être à
une conscience universelle ou à viññāna, la conscience sensorielle
dont on parle dans les cinq khandha. Mais il y a aussi cette
conscience qui est sans attaches, illimitée. À deux endroits dans
le Tipitaka, il est question de viññānam anidassanam anantam
sabbato pabham – beaucoup de mots pour décrire cet état de
conscience naturel, cette réalité. Je trouve très utile de me dire
clairement : « La conscience est ainsi ». Si nous commençons à y
penser, nous allons vouloir la définir en nous posant des questions
comme : « Y a-t-il une conscience immortelle ? » Ou bien nous
voudrons en faire une doctrine métaphysique ou encore la nier
en disant : « La conscience est impermanente, insatisfaisante et
impersonnelle ».” Nous voulons la définir avec précision, dire
qu’elle est impermanente et impersonnelle ou bien l’élever au
rang de position métaphysique à laquelle on va s’attacher. Mais
nous ne souhaitons pas proclamer des doctrines métaphysiques ni
nous limiter à une interprétation héritée de cette tradition. Ce que
nous voulons, c’est essayer de l’explorer en en faisant pleinement
l’expérience. Ajahn Chah appelait cela pen paccattam, c’est-à-dire
une chose que l’on réalise par soi-même. Ce que je vous propose
donc maintenant, c’est d’explorer car je ne vais pas essayer de
vous convaincre ni de vous convertir à ma vision des choses.

La conscience est ainsi. En cet instant, la conscience est bien
présente : nous sommes vifs et éveillés et, de ce fait, nous voyons
les choses apparaître et disparaître. Si on maintient cette présence
consciente, que l’on se pose en elle sans s’y attacher, sans
essayer de faire quoi que ce soit, de trouver quelque chose ni de
devenir quelqu’un, si on se détend simplement avec confiance,
des choses se produisent. Soudain, l’on devient conscient d’une
sensation physique, d’un souvenir ou d’une émotion. Cette
sensation ou ce souvenir devient donc conscient et puis il cesse. La
conscience est comme un véhicule ; elle nous présente les choses
telles qu’elles sont.
La conscience a-t-elle quelque chose à voir avec le cerveau ? Nous
avons tendance à penser qu’elle est une sorte d’état mental qui
dépend du cerveau. La position des scientifiques occidentaux est
que la conscience est dans le cerveau. Pourtant, plus on l’explore
avec sati-sampajañña et sati-paññā, plus on voit que le cerveau, le
système nerveux, toute la formation psychophysique apparaît
dans cette conscience, qu’elle est imprégnée de cette conscience.
C’est pour cette raison que nous pouvons avoir conscience du
corps, que nous pouvons réfléchir sur les quatre postures – assis,
debout, en marche et couché. Quand nous sommes conscients
de notre posture, tels que nous sommes en cet instant, nous
ne sommes pas limités à quelque chose qui se situerait dans le
cerveau : c’est le corps qui est dans la conscience. Nous sommes
conscients de l’ensemble du corps tel que nous le sentons dans
cette posture assise.
Cette conscience n’est pas personnelle. Ce n’est pas une conscience
qui se situerait dans « ma » tête et, ensuite, une conscience dans «
votre » tête ; chacun de nous vit sa propre expérience consciente.
Mais cette conscience est-elle ce qui nous unit les uns aux
autres ? Est-elle notre « unité » ? Je ne fais que poser des questions.
Il y a différentes manières de considérer les choses. Quand nous
laissons tomber nos différences – « Je suis Ajahn Sumedho et vous
êtes cette personne » –, quand nous lâchons ces identifications et
ces attachements, nous constatons que la conscience continue à
fonctionner. Elle est pure ; elle n’a rien de personnel ; rien qui la
rende féminine ou masculine. On ne peut pas la qualifier. Elle est
juste ainsi. Quand nous commençons à reconnaître ce qui nous
relie les uns aux autres, nous voyons que notre terrain commun
est la conscience et nous constatons ensuite qu’elle est universelle.
Quand nous rayonnons mettā vers un milliard de Chinois à l’autre
bout du monde, il ne s’agit peut-être pas de sentimentalité et de
gentilles pensées ; peut-être y a-t-il là une grande force. Je ne
sais pas, je m’interroge. Je ne vais pas me limiter à un point de
vue particulier, conditionné par mon héritage culturel, parce
que celui-ci est loin d’être parfait, de toute façon. Je n’ai guère le
sentiment que mon conditionnement culturel soit très fiable.
Parfois les gens trouvent que le Theravada a quelque chose de
nihiliste quand ils entendent parler d’absence d’âme, de Dieu, de
« moi » comme s’il s’agissait d’une prise de position inébranlable.
Mais l’enseignement du Bouddha n’est-il pas là pour être analysé
et exploré ? Nous n’essayons pas d’étayer la position de tel ou tel
expert du Canon Pali ; nous utilisons plutôt le Canon Pali pour
explorer notre propre expérience – c’est une autre façon de
considérer les choses. Si on approfondit cela assez longtemps, on
commence à vraiment voir la différence entre la pure conscience et
le moment où le « moi » apparaît. Ce n’est pas vague ou confus ; on
ne se demande pas : « Est-ce cela le moi ? » C’est une connaissance
claire : on sait.

Donc, ensuite, le « moi » apparaît. Je commence à penser à moi-
même : mes sentiments, mes souvenirs, mon passé, mes peurs et
mes désirs, et le monde entier tourne soudain autour d’ « Ajahn
Sumedho ». Il entre en orbite avec mes opinions, mes ressentis,
ma vision des choses... Je peux me faire piéger dans ce monde, ce
regard sur moi qui apparaît dans la conscience. Mais, si j’en suis
conscient, mon refuge n’est plus dans le fait d’être une personne
avec sa personnalité et ses opinions. Dès lors, je laisse passer tout
cela et le monde d’Ajahn Sumedho prend fin. Ce qui reste, à ce
moment-là, c’est anidassana viññāna, cette conscience primordiale
non discriminative ; voilà tout ce qui continue à fonctionner. Cela
ne veut pas dire qu’Ajahn Sumedho meurt, que c’est la fin du
monde ou que je suis devenu non-conscient.
À propos de fin du monde, cela me rappelle quelqu’un qui en avait
très peur. Il disait, dans une espèce de réaction de panique : « Les
bouddhistes méditent juste pour voir la fin du monde. Ils veulent
vraiment détruire le monde. Ils détestent le monde et souhaitent
voir sa fin. » Nous voyons le monde dans son aspect physique : une
planète, des continents et des océans, le pôle Nord et le pôle Sud.
Mais, dans le bouddhisme, « le monde » c’est le monde que nous
créons dans notre conscience. C’est pour cela que l’on peut dire
que nous vivons dans des mondes différents. Le monde d’Ajahn
Sumedho ne va pas être le même que celui que vous créez mais
ce monde apparaît et disparaît, tandis que ce qui est conscient
de l’apparition et de la disparition transcende le monde. C’est
lokuttara (transcendantal) et non plus lokiya (du monde).
Quand nous prenons naissance physiquement, nous avons une
conscience dans cette forme humaine, dans cette forme séparée
des autres. Ce point de conscience commence à fonctionner et
ensuite, bien sûr, nous développons une image de nous-mêmes
qui nous vient de nos parents et de notre environnement culturel.
Nous acquérons des valeurs différentes auxquelles nous nous
identifions en tant que personnes, et tout cela est basé sur avijjā,
l’ignorance, pas sur le Dhamma mais sur les idées, les opinions
et les préférences que possède chaque culture. C’est pour cette
raison qu’il peut y avoir des problèmes interminables liés aux
comportements différents selon la culture de chacun. Quand on
vit dans une communauté multiculturelle comme la nôtre, il est
normal qu’il y ait des incompréhensions car nous nous percevons
nous-mêmes et le monde qui nous entoure de manière différente
selon notre conditionnement. Alors, souvenez-vous que le
conditionnement culturel est le produit d’avijjā, de l’ignorance du
Dhamma. Ce que nous faisons maintenant, c’est ajouter paññā à la
conscience. Paññā est une sagesse universelle qui n’a rien à voir
avec une philosophie culturelle.
Quand on étudie le bouddhisme, on voit que ce n’est pas un
enseignement culturel. Il ne s’agit pas de la culture ou de la
civilisation indienne mais des lois de la nature qui nous entoure,
de l’apparition et de la disparition des phénomènes, des choses
telles qu’elles sont. Nous parlons d’aniccā, dukkha, anattā. Ce n’est
pas de la philosophie ni de la culture indienne ; ce sont des choses
qu’il faut découvrir et pleinement réaliser. On ne fonctionne
pas à partir d’un système de croyance fondamental qui serait
culturel. Le Bouddha met l’accent sur le fait de s’éveiller, d’être
attentif, plutôt que de se saisir d’une position doctrinale dès le
départ. C’est pour cette raison que nombre d’entre nous peuvent
se relier à cet enseignement, parce que nous n’essayons pas de
devenir des Indiens ni de nous convertir à une doctrine religieuse
qui viendrait d’Inde. Le Bouddha s’est éveillé à « ce qui est », à
la loi de la nature. Alors, quand nous explorons la conscience, les
enseignements comme les cinq khandha (agrégats) sont des outils
précieux et utiles pour investiguer et analyser notre vécu. Ce
n’est pas comme si on nous disait qu’il fallait croire dans les cinq
khandha, croire qu’il n’y a pas de « moi » ou ne plus croire en Dieu.
Il est vrai que certains bouddhistes ont cette attitude, ils adoptent
une position doctrinale en tant que bouddhistes mais, pour moi,
cet enseignement n’est pas fondé sur une doctrine, seulement
sur un encouragement à s’éveiller. Nous partons de ce qui est ici
et maintenant, d’une attention éveillée ; nous n’essayons pas de
prouver que le Bouddha a réellement vécu. Certains diront peut-
être qu’il n’a jamais existé, que c’est juste un mythe, mais cela n’a
aucune importance parce que prouver l’existence du Bouddha
Gautama n’est pas notre problème. Nous n’essayons pas de vérifier
des faits historiques mais de prendre pleinement conscience que
la réalité que nous vivons en cet instant est ainsi.
Quand nous nous autorisons à nous poser simplement dans la
présence consciente, nous sentons qu’il s’agit d’un état naturel,
c’est-à-dire qu’il n’est pas créé par le « moi ». Nous ne recherchons
pas des états de plus en plus subtils pour atteindre une sorte
d’extase et de paix qui serait le produit d’une expérience de
conscience très raffinée. Ce genre d’expérience est très dépendant
des circonstances car ce monde conscient dont nous faisons partie
inclut aussi bien le grossier que le subtil. Nous ne sommes pas dans
un monde spécialement subtil. En tant qu’êtres humains vivants
sur la planète Terre, nous ne sommes pas dans le monde raffiné
des deva ou des divinités (deva-loka, brahma-loka). Notre sphère
est grossière et elle présente un large éventail de réalités qui vont
du grossier jusqu’au raffiné. Nous devons vivre avec les réalités
d’un corps physique, ce qui est très animal. Les deva n’ont pas un
corps physique mais un corps éthérique. Nous aimerions tous avoir
un corps éthérique, n’est-ce pas, au lieu d’avoir toutes ces choses
gluantes qui circulent dans notre corps – le pus, le sang, toutes
ces choses répugnantes avec lesquelles nous devons vivre. Devoir
aller aux toilettes, par exemple ; les deva n’ont pas à le faire. Parfois
nous aimerions nous illusionner, croire que nous sommes des deva
car nous n’aimons pas ces aspects grossiers de notre condition
physique. Nous sommes très discrets là-dessus, nous ne voulons
pas que les gens les remarquent. Mais la conscience inclut tous
les aspects de notre condition humaine, depuis les plus grossiers
jusqu’aux plus raffinés.
Il y a une autre chose dont nous devons prendre conscience :
nos attitudes compulsives. Cette impression qu’il faut que nous
fassions quelque chose, ces habitudes forcenées de devoir agir,
devoir obtenir ce que l’on n’a pas, devoir atteindre quelque
chose ou se débarrasser de ses défauts. Quand on fait confiance
à sa « véritable demeure », on prend du recul par rapport à ce
conditionnement des émotions. Nous sommes issus d’une société
très compétitive qui nous impose des objectifs à atteindre. Nous
sommes programmés pour avoir toujours le sentiment qu’il y a
quelque chose que nous devrions faire ou obtenir. Nous croyons
toujours qu’il nous manque quelque chose, que nous devons
découvrir ce que c’est et l’obtenir. Ou bien nous nous mettons en
tête de nous débarrasser de nos faiblesses, de nos défauts et de nos
mauvaises habitudes. Voyons clairement qu’il s’agit uniquement
d’une attitude qui apparaît puis disparaît. C’est le monde de la
compétition, le monde du « moi ».
Nous pouvons toujours nous percevoir selon ce qui ne va pas
chez nous en tant que personnes. Sur ce plan-là, il y a tellement
de défauts et d’insuffisances possibles. Je n’ai jamais rencontré
quelqu’un de parfait. Le « moi » envahit tout. Certains de ses aspects
sont plutôt acceptables mais d’autres sont complètement farfelus.
Nous ne pouvons pas prendre refuge dans un « moi » car notre «
moi » ne sera jamais parfait. Donc, quand nous nous jugeons sur un
plan personnel, nous pensons qu’il y a énormément de problèmes,
d’insuffisances, de défauts et de faiblesses – peut-être aussi
parce que nous nous comparons à l’image d’une personne idéale,
généreuse et absolument parfaite. Mais ce qui est conscient du «
moi » n’est pas personnel. Nous pouvons devenir conscients du «
moi » comme d’un objet mental ; alors les situations personnelles
apparaissent puis cessent.
Nous nous surprenons parfois à nous sentir très insécurisés ou à agir
comme des enfants parce qu’une situation aura fait réapparaître le
« moi ». Je me souviens avoir passé environ trois semaines chez
mes parents, du temps où ils étaient encore en vie, parce qu’ils
étaient très malades. J’étais Ajahn Sumedho, cinquante-cinq ans,
abbé du monastère Amaravati et je rentrais chez moi pour aller
vivre dans la même petite maison qu’autrefois avec mon père et ma
mère. Cette situation a réveillé toutes sortes d’émotions puériles
simplement à cause des circonstances. Nous sommes nés de nos
parents. Une mère et un père éveillent en nous des souvenirs, des
liens avec notre enfance et les années qui ont suivi. C’est ainsi
qu’une grande partie des difficultés que l’on rencontre dans les
familles vient du fait que, dans ce contexte, on se sent à nouveau
comme un enfant – même quand on est un moine bouddhiste de
cinquante-cinq ans et abbé d’un monastère ! Ma mère et mon
père n’avaient aucun mal à me considérer toujours comme un
enfant. Ils voyaient bien que j’étais un homme d’âge mûr mais
ils agissaient encore parfois comme si j’étais leur enfant. Alors,
on se retrouve plein de rébellion et de ressentiment, comme un
adolescent qui se voit traité en gamin ! Ne soyez donc pas surpris
si de telles émotions surgissent dans ce genre de circonstances.
Tout au long de la vie, quand on vieillit, le karma mûrit et ces
situations apparaissent dans la conscience. Ne vous désespérez
pas si, à cinquante ans, vous vous sentez très puéril. Soyez-en
simplement conscient : c’est comme ça. Les circonstances pour
que cette émotion particulière apparaisse sont présentes mais,
ensuite, vous en êtes conscient. Votre refuge est dans cette prise
de conscience ; pas en essayant de devenir une personne idéale,
mûre, responsable, capable, « normale », à qui tout réussit, et tout
et tout. Ce ne serait qu’un idéal.
Ici, on ne me considère pas comme un enfant – je suis même le plus
âgé ! Vous me voyez peut-être comme une figure paternelle parce
qu’un vieil homme comme moi évoque l’autorité. Je représente
l’autorité, le patriarche, le père, l’homme – et même le grand-
père pour certains d’entre vous ! Il est intéressant de simplement
prendre conscience de ce qui se passe quand les circonstances sont
présentes. Rationnellement, vous pouvez vous dire : « Ce n’est pas
mon père » mais, émotionnellement, vous pouvez me ressentir
comme cela, agir envers moi comme si j’étais votre père, à cause
d’une certaine habitude émotionnelle. Quand les circonstances
font apparaître cette figure masculine autoritaire, c’est ce que
vous ressentez, c’est ainsi. Il n’y a rien de mal à cela ; il suffit de
remarquer que c’est ce qui se produit. Faites confiance à ce refuge
qu’est la claire conscience de ce qui est au lieu de penser que vous
ne devriez pas projeter des images paternelles sur moi ou que vous
ne devriez pas vous sentir diminué devant une figure d’autorité
masculine, et ainsi de suite. Si vous vous sentez diminué à cause de
moi, au lieu de me blâmer ou de vous en vouloir, voyez qu’il s’agit
simplement d’un sentiment qui est apparu et qui, par conséquent,
va disparaître. Sinon, vous retombez dans un monde créé par vous,
un monde « personnel » et vous croyez qu’il s’agit de la réalité.
Autrefois, je me mettais très en colère quand une femme se
montrait autoritaire. Quand une femme, n’importe laquelle,
faisait preuve d’autorité, je sentais la rage monter en moi. Je me
suis demandé pourquoi je réagissais aussi fort simplement à une
intonation de voix, pourquoi une attitude dirigiste de la part
d’une femme me rendait absolument furieux, et j’ai vu que cela
remontait à l’époque où j’étais enfant à essayer de m’opposer
à la volonté de ma mère. Si nous ne réussissons pas à résoudre
correctement ces situations du passé, quand des circonstances
semblables se présentent, nos vieilles réactions refont surface.
C’est en en prenant conscience que l’on peut résoudre cela. Quand
on le comprend et qu’on le considère simplement comme étant «
ce qui est », on peut le résoudre ou le lâcher. Ainsi se libère-t-on
de la répétition incessante de ces vieilles réactions conditionnées.
Notre refuge est donc dans cette présence consciente et non dans
l’espoir vain d’obtenir et de maintenir des états de conscience très
subtils. Il est possible, en pratiquant souvent avec beaucoup de
finesse, d’apprendre à développer des expériences subtiles mais
il faut inévitablement finir par laisser des choses plus grossières
se manifester et faire également partie de votre expérience
consciente. On dit que se poser dans la présence consciente
est comme « rentrer chez soi » ou retrouver sa « véritable
demeure ». C’est un espace où l’on peut se détendre, comme un
foyer, un lieu où l’on se sent bien, où l’on n’est plus un étranger
ou un extra-terrestre. Avec soulagement, on commence à sentir
que l’on a enfin trouvé sa place, que l’on n’est plus ce vagabond
perdu dans la nature. Et lorsque « le monde d’Ajahn Sumedho »
apparaît à nouveau, on ne se sent plus à sa place parce que « Ajahn
Sumedho » est un extra-terrestre, un étranger ! Il ne se sent jamais
bien nulle part : suis-je toujours américain ? Suis-je britannique
ou thaïlandais ? Où est-ce que je me sens bien en tant qu’Ajahn
Sumedho ? Je ne sais même plus de quelle nationalité je suis. Je me
sens plus à l’aise en Grande-Bretagne qu’en Amérique parce que je
vis ici depuis tellement longtemps. En Thaïlande, je me sens chez
moi parce que c’est le paradis des moines bouddhistes. On nous
traite merveilleusement bien mais il y a toujours des problèmes de
visa et on reste toujours un phra farang (moine étranger). Ici, même
si je vis dans ce pays depuis des décennies, je reste un Américain
pour la plupart des gens. Et quand je retourne aux États-Unis, je
ne sais pas ce que je suis. Les gens me disent : « Tu n’as plus l’air
d’un Américain. Tu as un drôle d’accent. On ne sait plus d’où tu
viens ! » Cela, c’est le monde qui est créé par l’esprit conditionné.
Quand celui-ci tombe, ce qui reste c’est notre véritable demeure.
145


9 CONFIANCE DANS LA SIMPLICITÉ


L’atmosphère conviviale est là pour vous encourager à voir la vie
monastique comme quelque chose de beau et de plaisant à vivre et
à vous y ouvrir plutôt que vous enfermer. On considère parfois la
méditation comme un moyen de se couper du reste du monde et
non comme une ouverture. Attention, n’oubliez pas que les mots
ont leurs limites. Quand je dis « se couper du reste du monde » ce
ne sont que des paroles que vous interprétez à votre manière.
Dans toutes les traditions religieuses il y a beaucoup de confusion
parce que les enseignements peuvent paraître contradictoires : à
certains moments, on vous dit de vous tourner vers l’intérieur –
fermez les yeux, concentrez votre esprit sur la respiration –, et à
d’autres moments, on vous demande de vous ouvrir avec mettā
pour tous les êtres vivants. Cela montre les limitations des mots et
des conventions. Quand nous nous saisissons de ces conventions,
nous avons tendance à nous attacher à un seul point de vue,
notamment dans notre façon d’interpréter les Écritures, et nous y
sommes parfois même encouragés par l’enseignant. Mais pensez à
toujours revenir à la conscience que nous pouvons tous ressentir
en tant qu’individus et qui est le centre de l’univers.

Lorsque vous vous voyez comme une personne, comme quelqu’un
qui a besoin de trouver quelque chose ou de se débarrasser de
quelque chose, vous vous limitez à être quelqu’un qui doit obtenir
une chose qu’il n’a pas ou qui doit se débarrasser d’une chose qu’il ne
devrait pas avoir. Nous réfléchissons à cela et nous apprenons à en
être le témoin, Bouddho, ce qui est éveillé et conscient, qui écoute
la « personne » que nous croyons être, qui connaît ses opinions et
ses états émotionnels sans les prendre personnellement.
Ainsi, vous cessez de fonctionner à partir de la position de celui qui
dit : « Je suis en train de méditer » ou « Je dois trouver une chose
que je n’ai pas encore. Je dois atteindre des états de concentration
profonde pour aller vers des pratiques de méditation plus
avancées ».” Ce n’est pas que cette croyance soit erronée mais elle
vous limite à rester toujours quelqu’un qui doit atteindre une chose
qu’il n’a pas. Vous pouvez aussi passer en mode “purification” : « Je
suis un pécheur, j’ai besoin de me purifier. Je dois me débarrasser
de mes mauvaises pensées et de mes mauvaises habitudes, de mes
émotions puériles, de l’avidité, de la haine et de l’ignorance... » Dans
ce cas, ce que vous faites, c’est supposer que vous êtes quelqu’un
qui a tous ces défauts. Voilà pourquoi la présence consciente, la
présence éveillée à ce qui est, est l’essence de l’enseignement
bouddhiste. Bouddho signifie simplement « présence consciente
éveillée ».
Je vous encourage à aller vers la simplicité présence consciente
éveillée plutôt que vers la complexité. Nous avons déjà des
personnalités compliquées. Notre conditionnement culturel et
social est généralement confus. Nous avons reçu une certaine
éducation, ce qui signifie que nous savons beaucoup de choses et
que nous avons beaucoup d’expérience – autrement dit, nous ne
sommes plus simples. Nous avons perdu notre simplicité d’enfants
et sommes devenus des personnages compliqués. La forme
monastique nous encourage à prendre la direction de la simplicité.
Cela peut paraître difficile parfois mais tout l’encouragement du
Dhamma-Vinaya va vers la simplification de toute chose, pas le
contraire.
Ce qui est extrêmement facile, c’est de se réveiller. Le mot
« Bouddha » signifie « éveillé », c’est aussi simple que cela.
L’enseignement le plus profond est contenu dans ces mots :
« Réveillez-vous ! » Quand on entend cela, on peut se dire : « Et que
suis-je censé faire après ? » Mais là, nous compliquons les choses
parce que nous n’avons pas l’habitude d’être vraiment éveillés
et pleinement présents. Nous sommes accoutumés à penser et à
analyser les choses en essayant d’obtenir un résultat ou de nous
débarrasser de quelque chose, de réussir, d’atteindre un but.
Dans les Écritures, on évoque des occasions où une personne est
éveillée juste en entendant une parole ou quelque chose de très
simple. On se dit qu’à cette époque, les gens avaient plus de parami
(vertus perfectionnées) que nous, plus de capacité à s’éveiller
et à être complètement libérés. Nous nous voyons à travers des
souvenirs et des perceptions compliquées. On aime ou on n’aime
pas, on se sent bien et puis on se sent triste. Tout peut changer très
facilement d’un instant à l’autre. Je peux brusquement ressentir
de la colère juste parce que quelqu’un dit quelque chose qui
m’agace. Quand certaines circonstances se présentent, les états
émotionnels qui en résultent surgissent aussitôt : colère, bonheur,
enthousiasme, etc. Mais, avec sati-sampajañña, nous apprenons
à demeurer dans un état de conscience présente qui transcende
ces émotions.
Si nous n’avions pas cette possibilité, il n’y aurait aucun espoir,
aucun intérêt à être moine ou nonne bouddhiste ou quoi que
ce soit d’autre. Nous serions les victimes impuissantes de nos
habitudes et il n’y aurait pas moyen d’échapper au piège de nos
schémas habituels de fonctionnement. Le moyen d’en sortir c’est
l’attention consciente et éveillée. La convivialité, c’est de la bonne
volonté, du bonheur, de l’éclat ; c’est accueillir et s’ouvrir. Quand
on est convivial, on est ouvert ; quand on est de mauvaise humeur,
on ne l’est pas : « Laissez-moi tranquille. Ne m’embêtez pas ! »
La façon dont nous considérons la méditation, le bouddhisme
Theravada ou toute autre convention que nous utilisons, montre
combien il est facile d’avoir des opinions arrêtées. Les gens ont un
avis auquel ils croient et, quand ils s’attachent à une convention
religieuse, ils ont tendance à avoir des opinions très arrêtées
dessus. Dans les cercles Theravada, on entend dire, par exemple :
« C’est nous qui détenons les enseignements originels, purs. Il faut
faire ceci pour obtenir cela. Le samsāra et le nibbāna sont les deux
pôles opposés », et ainsi de suite. C’est le genre de points de vue et
d’idées que l’on a quand on s’attache à une tradition. Par contre,
dans la conscience éveillée, il n’y a pas de convention. Cette
conscience perçoit tous les phénomènes en termes de Dhamma,
de lois de la nature. Ces lois naturelles ne sont pas inventées et
elles ne dépendent pas de circonstances extérieures pour exister.
Si on s’attache à un point de vue, on est lié et limité précisément
par la chose à laquelle on s’attache. Dans la conscience présente
et éveillée, il n’y a pas de saisie. C’est le simple fait immanent
d’être ici, d’être patient. Il faut de la confiance, notamment de
la confiance en soi. Personne ne peut vous y forcer ni le faire
pour vous par magie. Il est donc très important d’avoir confiance
en cet instant de totale présence à ce qui est. De par ma nature,
je suis moi-même quelqu’un qui remet tout en question, qui
doute, qui est sceptique. Je ne crois pas facilement à ce que
l’on me dit, j’ai tendance à soupçonner, à me méfier. Ce n’est
pas très agréable à vivre. J’adorerais croire en quelque chose et
me détendre paisiblement en cette croyance dans laquelle je
m’engagerais totalement.
L’approche sceptique est un vrai défi. Il faut l’utiliser pour
apprendre à faire confiance. Pas confiance dans un point de vue
ou une doctrine mais dans la simple capacité que nous avons
tous à être présent et conscient. La présence consciente inclut la
concentration. Quand on fait des pratiques de concentration, que
l’on pose son attention sur un seul objet, on se coupe de tout le
reste. Dans la pratique de samatha, on choisit un objet, on fixe son
attention dessus et on la maintient en place. Quand la présence
consciente est là, cette attention est vaste, comme la lumière d’un
projecteur. Elle est grande ouverte et englobe absolument tout.
Apprendre à faire confiance à cette présence consciente est un
acte de foi mais c’est aussi très proche de la sagesse. C’est quelque
chose qu’il faut expérimenter jusqu’à commencer à l’apprécier. Je
pourrais décrire et développer davantage le sujet mais cela resterait
une chose que vous devez découvrir par vous-même. Le doute est
l’un de vos principaux problèmes parce que vous ne vous faites pas
confiance. Beaucoup d’entre vous pensent qu’ils sont le produit de
leur passé, de leurs souvenirs, de leur personnalité. Vous en êtes
absolument convaincus et, bien entendu, vous ne pouvez pas faire
confiance à cela. Moi non plus, je ne fais pas confiance à la personne
que je suis – elle est capable de dire n’importe quoi ! Je ne peux pas
non plus faire confiance à mes émotions puisqu’elles oscillent et
changent tout le temps. Selon qu’il fait soleil ou qu’il pleut, que
tout va bien ou que tout s’écroule, mes émotions se mettent au
diapason. Ce en quoi j’ai confiance, c’est ma capacité à être présent
et conscient. Mais il faut que vous découvriez cela tout seuls, vous
ne pouvez pas vous contenter de me faire confiance. Ce que je vous
dis là a seulement pour but de vous encourager à faire confiance.

La présence consciente qui englobe tout est très simple et
absolument naturelle. L’esprit s’arrête et vous vous retrouvez
ouvert et réceptif. Même si vous êtes tendu et crispé, ouvrez-
vous à cela en l’acceptant et en l’autorisant à être ainsi. Tension,
désespoir, douleur... Laissez votre ressenti être exactement tel qu’il
est ; ne cherchez pas à vous en débarrasser. Si vous vous mettez
en tête que cette ouverture devrait engendrer un état d’esprit
heureux, vous créez l’impression mentale d’un état agréable que
vous ne ressentez peut-être pas dans l’instant mais que vous
aimeriez ressentir. Mais être dans un état d’esprit agréable n’est
pas indispensable pour que se manifeste la présence consciente
qui englobe tout. On peut être au fond du gouffre de la tristesse et
malgré tout ouvert à l’expérience d’une conscience présente, ce
qui permet d’accueillir même les états les plus perturbants et les
laisser être ce qu’ils sont.
J’ai trouvé qu’avoir cette attitude était un véritable défi car il y
a tellement d’états mentaux et émotionnels que je n’aime pas du
tout. J’ai passé ma vie à essayer de m’en débarrasser. Dès l’enfance,
on développe l’habitude d’essayer de se libérer des états mentaux
désagréables en cherchant à se distraire, en faisant n’importe quoi
pour y échapper. Dans notre vie, nous développons tellement
de moyens de nous distraire de sentiments comme le désespoir,
la tristesse, la dépression et la peur, qu’on ne le fait même plus
consciemment ; il devient habituel de se distraire d’une expérience
douloureuse. Maintenant, ce que je vous encourage à faire, c’est
de commencer à en prendre conscience – de prendre même
conscience de la façon dont vous cherchez à vous en distraire.
Il s’agit de s’ouvrir à ce qui est et non à ce que vous pensez que
cela devrait être ou à ce que vous croyez que c’est. C’est un
état où l’on ne sait pas vraiment quoi que ce soit en particulier.

Dans cette claire conscience, on ne peut pas dire que l’on sache
quoi que ce soit. On laisse simplement les choses être ce qu’elles
sont. On n’est pas obligé de les percevoir à travers des pensées ou
des mots ni de les analyser ; on laisse l’expérience se dérouler telle
qu’elle se présente. Il s’agit plutôt de développer un sentiment
intuitif, ce que j’appelle « conscience intuitive ». Quand vous
commencez à faire confiance à cette claire conscience, vous pouvez
vous détendre un peu. Si vous essayez de contrôler l’esprit, vous
aurez tendance à retomber dans vos comportements habituels :
vous saisir de certaines choses et vous débarrasser des autres au
lieu de laisser les choses simplement être ce qu’elles sont.
Avec la conscience intuitive, nous prenons refuge dans la
conscience éveillée qui est vaste, illimitée. La pensée et les
concepts créent des limites. Le corps est une limite, les habitudes
émotionnelles sont des limites, le langage est une limite, les mots
qui expriment des ressentis sont aussi des limites. La joie, le
chagrin et la neutralité sont tous trois conditionnés et dépendent
d’autres facteurs. Ce qui transcende tout cela, nous commençons
à le reconnaître en nous « éveillant ». Même si ce que je dis vous
paraît stupide, soyez conscient de ce ressenti.
Ouvrez-vous au fait que vous n’aimez pas ce que je dis. C’est « ce
qui est », en ce moment. Vous n’êtes pas obligé d’aimer ce que je dis
mais vous pouvez partir de la prise de conscience de « ce qui est »
plutôt que devoir comprendre ce que j’essaie de dire.
La pensée d’une séparation, par exemple, a un certain impact sur
la conscience. Quel que soit le sentiment qui vous anime en ce
moment, il est comme il est. La séparation et l’idée de la séparation
sont ainsi. Il s’agit de reconnaître ce qui est sans juger ce que vous
voyez. Dès que vous ajoutez quelque chose, vous déformez ce qui
est ; cela devient personnel, émotionnel, compliqué. Cette sphère
des sens dans laquelle nous vivons, cette planète Terre, est ainsi.
Toute notre vie est un enchaînement interminable de rencontres
et de séparations. Nous y sommes tellement habitués que nous y
prêtons à peine attention et n’y réfléchissons pas. La tristesse est
la réaction naturelle au fait d’être séparé de ce que l’on aime, des
gens que l’on aime. L’émotion ressentie est la tristesse mais, quand
on prend clairement conscience de cette émotion, on constate
que la prise de conscience n’est pas triste. C’est pareil quand on
est présent à la pensée qui éveille en nous des sentiments de
joie ou d’exaltation : la conscience n’est pas exaltée, elle observe
l’exaltation. La conscience embrasse le ressenti de joie ou de
tristesse mais elle ne s’exalte pas, elle ne s’attriste pas. Il s’agit
donc d’apprendre à faire confiance à cette conscience au lieu de
lutter sans cesse contre tous les sentiments qui surgissent en nous.
Avez-vous remarqué que, même quand vous êtes dans la confusion
la plus totale, il y a quelque chose qui ne se noie pas dans cette
confusion ? Qu’il y a une conscience de cette confusion ? Si
vous ne le voyez pas clairement, vous risquez de vous attacher
à cet état de confusion et de compliquer encore la situation. Par
contre, si vous avez assez de confiance pour vous ouvrir à la
confusion, vous trouverez le moyen de vous libérer du piège des
conditionnements qui nous renvoient constamment aux mêmes
réactions émotionnelles nées de la peur et du désir.
Dans notre monde, le désir est naturel. Alors pourquoi ne devrions-
nous pas avoir de désirs ? Quel mal y a-t-il à cela ? Nous nous
battons pour nous libérer de tous nos désirs. Essayer de purifier
notre esprit et de vaincre le désir devient un défi personnel, n’est-
ce pas ? Mais est-ce possible ? Pas pour moi. Il m’arrive de réprimer
les désirs et de me convaincre que je n’en ai pas mais je ne tiens
pas longtemps. Quand on observe les choses telles qu’elles sont, on
constate que ce monde est ainsi fait : face à ce qui est attirant et
beau, on a envie de faire un pas pour s’en saisir ; face à ce qui est
laid et répugnant, la réaction est de reculer. C’est ainsi ; il n’y a là
rien de personnel. Par contre, dans ce mouvement d’attirance ou
de répulsion, il peut y avoir une pleine conscience qui embrasse le
tout. On peut être conscient d’être attiré et conscient d’être rebuté
par quelque chose.
Cette prise de conscience est subtile et simple mais si personne ne
nous en parle, nous ne pouvons pas apprendre à lui faire confiance.
Ainsi, notre état d’esprit face à la méditation a tendance à être axé
sur l’obtention du succès. Il est facile de retomber dans cette lutte
dualiste : essayer d’obtenir et essayer de repousser. Vrai et faux,
bon et mauvais... nous sommes très vite intimidés par les bons
sentiments. Quand il s’agit de religion, on a tendance à être très
moralisateur, n’est-ce pas ? Dans un sens, c’est une bonne chose.
Il est bon de lâcher le désir et d’assumer la responsabilité de notre
vie, de respecter les préceptes et de poursuivre nos efforts avec
diligence. C’est juste et c’est bien.
Certains pourraient m’accuser d’enseigner une façon de faire où
le comportement importe peu, où l’on pourrait faire n’importe
quoi pourvu que l’on en soit conscient. On pourrait dévaliser une
banque tout en étant conscient de ses gestes ; on pourrait boire de
l’alcool et prendre de la drogue et voir quel degré de conscience on
a dans ces états-là ! Si c’était vraiment ce que j’enseigne, la porte
serait ouverte à tout et n’importe quoi. Mais ce n’est absolument
pas ce que je propose ; je ne dis pas qu’il faut enfreindre les
préceptes. Pourtant voyez comment, lorsque vous êtes prisonnier
d’une vision moralisatrice, vous avez tendance à croire que je me
fais l’avocat du contraire, que je dis que les gens ne devraient pas
agir selon vos principes.

Les préceptes sont un véhicule qui simplifie notre vie et met des
limites à notre conduite. Sans limites, nous risquons de nous
perdre, de suivre nos impulsions ou nos idées du moment. Le
Vinaya et sīla sont toujours une forme de restriction mais ils sont
un véhicule dont le but est d’aider à la réflexion. Par contre, si
on s’en saisit, on devient quelqu’un qui suit toutes les règles sans
réfléchir. C’est l’extrême opposé de l’hédonisme total : on devient
institutionnalisé dans le moule monastique, on suit sa ligne de
conduite, on obéit à toutes ses règles, on est un bon moine ou une
bonne nonne, persuadé que c’est ce que l’on doit faire... mais on
n’est pas vraiment ouvert ni conscient de ce que l’on fait. L’esprit
qui doute et réfléchit, l’esprit moralisateur, l’esprit suspicieux
remettra toujours les choses en question.
Certains d’entre vous pensent probablement : « Je ne suis pas prêt
à cela pour l’instant. Ce que vous enseignez s’adresse à des élèves
avancés. Je dois déjà apprendre à être un bon moine ou une bonne
nonne ».” Très bien, apprenez à être un bon moine ou une bonne
nonne mais que cela ne vous empêche pas d’être aussi conscient de
ce qui est. L’idée est d’essayer de ne pas vous compliquer davantage
la vie en adoptant un nouveau rôle et d’apprendre plutôt à voir et
à observer comment les restrictions de la vie monastique révèlent
nos résistances, nos complaisances, nos attachements, nos
aversions ; voir que toutes ces réactions sont simplement « ce qui
est » en cet instant. Ainsi, vous irez au-delà des structures dualistes
de la pensée et des phénomènes conditionnés. Votre refuge est
dans ce qui est au-delà de la mort, dans l’inconditionné, dans le
Dhamma lui-même – pas dans la vision qu’une autre personne
peut avoir du Dhamma.
J’ai développé cette présence consciente au fil des années, de sorte
qu’aujourd’hui je perçois la conscience comme très vaste ; il y a un
immense espace dans lequel je peux me poser. Les situations dont je
fais l’expérience, aussi bien physiquement qu’émotionnellement,
se reflètent dans cet espace ; elles sont contenues et soutenues en
lui ; elles ont le droit d’exister là. Si je ne développais pas cette
conscience, ce serait difficile car je serais tout le temps en train
de lutter contre mes ressentis. À certaines périodes, le Sangha va
bien, les gens disent qu’ils adorent Amaravati, qu’ils veulent rester
moines ou nonnes toute leur vie, qu’ils croient que le bouddhisme
Theravada est la seule véritable voie ; et puis, soudain, ils changent
et disent qu’ils en ont assez de ce lieu et qu’ils veulent se convertir
à une autre religion. Dans ce cas, je pourrais me sentir découragé
et m’efforcer de les convaincre qu’une autre religion n’est pas la
solution. Je deviendrais moralisateur et tenterais de démontrer
combien nous sommes dans le vrai. Persuadé que ce lieu offre
toutes les opportunités, je me dirais que les gens devraient en
être reconnaissants. Je pourrais toujours penser, à part moi :
« Ne sois pas égoïste, ne sois pas idiot » mais, émotionnellement,
c’est bien ainsi que nous fonctionnons. Si nous sommes attachés
à notre façon de faire, nous nous sentons menacés par ceux qui la
remettent en question.
J’ai bien vu dans ma vie que, chaque fois que je suis contrarié par
quelqu’un qui critique le Theravada ou notre Sangha ou notre
façon de faire, c’est à cause de ma personnalité et sa tendance
à s’attacher et à s’identifier à ces choses. On ne peut pas faire
confiance à sa personnalité. C’est à l’attention qu’il faut faire
confiance. Plus on voit cela et on le comprend, plus on est en
mesure de se poser dans cette présence consciente et d’écouter
le son du silence. Quand on maintient cette attention éveillée, la
conscience peut s’ouvrir et s’étendre à l’infini. Lorsque ceci se
produit, on est simplement présent dans un instant de conscience
et on perd le sentiment d’être « quelqu’un », d’être une personne,
d’être ce corps. Ce sentiment disparaît, tout simplement. Il ne peut
plus être maintenu.
Les habitudes émotionnelles ne peuvent pas perdurer car leur
nature est d’être impermanentes, d’apparaître puis de disparaître.
Quand cette ouverture se produit, vous commencez à en
comprendre toute la valeur – que certains appellent vacuité. Quel
que soit le nom que vous lui donnez, peu importe tant que vous
en êtes conscient. C’est un état naturel, pas fabriqué. Le « moi »
ne peut pas créer cette vacuité. Il ne s’agit pas de passer par un
long processus de concentration de l’esprit sur un point précis
pour pouvoir y parvenir et ensuite de maintenir son esprit à cet
endroit pour bloquer toute intrusion. À l’époque où je pratiquais
des techniques de concentration, j’étais toujours frustré parce que,
juste au moment où j’atteignais un stade intéressant, quelqu’un
claquait une porte ! Cette forme de pratique consiste à essayer
de tout bloquer, tout contrôler et tout limiter. Elle peut être très
efficace mais si on s’y attache, on est limité par elle, on ne peut pas
prendre la vie comme elle vient car on essaie de tout maîtriser. La
conséquence, c’est que l’on va essayer de définir sa vie en fonction
de la pratique : « Je dois vivre à tel endroit, avec ces gens-là, pas
avec d’autres ; j’ai besoin de tel encadrement et de telles conditions
pour trouver mon samādhi ».” Dès lors, on est lié à cette façon de
structurer sa vie.
On voit des moines qui ne cessent de voyager, à la recherche
du monastère idéal où ils pourront trouver leur samādhi. Mais,
dans cette attention vaste, tout est inclus, de sorte que l’on n’a
pas besoin de circonstances particulières pour la développer.
L’attention intuitive nous permet d’accepter la vie comme un
mouvement naturel au lieu d’être constamment frustrés quand la
vie semble difficile ou déplaisante.

Quand je suis venu au temple, ce soir, c’était vraiment très
agréable. Le calme du lieu est fantastique, n’est-ce pas ? Il n’y
a pas de meilleur endroit au monde ! Ce n’est qu’une opinion
personnelle, vous savez, pas une déclaration officielle ! Je trouve la
paix et le silence de ce lieu palpables dès que l’on y pénètre, mais
puis-je pour autant passer le reste de ma vie assis ici ? Le calme est
ici, dans le coeur. Le calme, c’est être présent ; cela ne dépend pas
d’un temple ou d’un quelconque lieu. Quand vous faites confiance
à votre présence consciente, vous commencez à remarquer que,
même au coeur d’une grande ville comme Londres ou Bangkok,
même dans des situations de confusion ou de conflit, vous pouvez
toujours retrouver ce calme une fois que vous avez apprécié sa
valeur. Bien sûr, il faut pas mal de détermination pour y parvenir.
La plupart du temps, cela ne paraît pas très important ; avoir des
pratiques orientées vers un but concret semble plus attrayant :
« Je veux quelque chose à faire, une chose à laquelle je vais pouvoir
m’attaquer ! » Nous sommes conditionnés à toujours faire quelque
chose au lieu de simplement avoir confiance et nous ouvrir à
l’instant présent. Nous sommes même capables de transformer
cela en quelque chose à faire : « Il faut que je m’ouvre au présent à
tout moment ».” Mais cela, c’est se saisir d’une idée, ce n’est pas ce
que j’essaie d’expliquer.
La convivialité est une attitude de détente dans la vie. On est ouvert
et détendu dans le fait d’être vivant, de respirer ; on est détendu
dans le fait d’être présent à ce qui apparaît dans la conscience. Si
on s’empare de l’idée : « Je devrais être convivial », on passe à côté.
Je vous encourage simplement à être confiant, à vous détendre et
à lâcher prise. Appréciez la vie ici, ouvrez-vous à elle au lieu de
toujours essayer de la perfectionner, ce qui risque de vous enferrer
dans une attitude critique envers ce lieu. Ouvrez-vous à l’aversion,
laissez l’aversion être ce qu’elle est. Je ne vous demande pas de ne
pas éprouver d’aversion ni d’agitation mais de vous ouvrir à tous
vos ressentis, qu’ils soient positifs ou négatifs.
159


10 OBSERVER L’ATTACHEMENT


La conscience, c’est ce dont nous faisons l’expérience à cet instant
même ; c’est ce qui nous lie tous en ce moment. La conscience
relève de la forme. Nous en faisons l’expérience à travers la forme.
Quand nous contemplons les quatre éléments (dhātu) – la terre,
l’eau, le feu et l’air – et que nous en ajoutons deux, l’espace et
la conscience, cela constitue tout ce que peut expérimenter un
individu humain.
Les conditions physiques du corps et le monde physique dans lequel
nous vivons sont une combinaison des quatre éléments associés
à l’espace et la conscience. Nous pouvons observer les quatre
éléments dans notre propre corps pour pouvoir le considérer
autrement que comme une identité personnelle ou quelque chose
que nous possédons. L’espace et la conscience n’ont aucune limite,
ils sont infinis. En méditation, nous utilisons donc la conscience
pour observer ce qui est.
Nous sommes parfois dans la confusion parce que la conscience
n’est pas une chose dont on peut se saisir ; on ne peut pas la voir
comme on voit la terre, l’eau, le feu et l’air ou même les états
d’esprit comme les émotions. Du fait que nous sommes conscients,
nous pouvons être présents à nos pensées et à nos émotions ; nous
pouvons être conscients du corps tel qu’il existe et se manifeste
à cet instant. Parfois, nous pensons à la conscience de manière
très limitée, simplement la conscience sensorielle qui apparaît
lorsqu’elle entre en contact avec les yeux, les oreilles, le nez, etc.
Dans ce cas, la conscience est très limitée à la perception par les
sens. Mais il est possible de découvrir une conscience qui ne soit
pas liée aux sens. C’est de cela qu’il est question quand je parle du
son du silence. Quand nous commençons à remarquer ce son, il
y a une conscience qui n’est liée à rien. Quand nous maintenons
l’attention au son du silence, nous réalisons que nous pouvons
commencer à réfléchir et à prendre du recul par rapport à nos
pensées, nos émotions, nos ressentis, notre activité sensorielle
et notre vécu qui apparaissent tous dans la conscience, dans
l’instant présent.
Il est important de réaliser qu’il s’agit là d’une chose vraiment
merveilleuse dont nous sommes capables. La raison même de
mener une vie de samana (renonçant) est de parvenir à cette
sorte de réalisation. Bien sûr, des obstacles arrivent dès que nous
donnons foi aux pensées erronées que nous créons : le sentiment
très fort d’être un « moi » séparé des autres, l’identification au
corps, et toutes nos réactions émotionnelles habituelles, nos
pensées et nos ressentis qui créent cette personne que nous
pensons être et que nous autorisons à nous bousculer dans tous
les sens. Voilà pourquoi je vous encourage à vous poser et vous
détendre dans cette présence consciente qui apparaît lorsque nous
reconnaissons le son du silence.
Posez-vous simplement dans cet état d’ouverture et de réceptivité.
Ne vous attachez pas à l’idée. Il y a le risque de s’attacher à l’idée
du son du silence avec l’espoir d’atteindre quelque chose grâce
à lui, ou de se créer de fausses images sur lui. Ce ne serait pas
juste. Il ne s’agit pas d’essayer d’en faire quoi que ce soit mais
d’être pleinement ouvert à cet instant présent sans le moindre
attachement. Vous savez que vous n’êtes pas attaché grâce à
votre attention. Ce ne sont pas des mots ou des avertissements qui
y parviendront. On peut toujours vous dire : « Ne vous attachez
à rien » ou « lâchez prise de tout », mais c’est justement là que
les gens s’attachent à la notion de non-attachement – « il ne faut
s’attacher à rien ! ” Nous sommes terriblement engagés dans la
pensée, à toujours essayer de tout comprendre en termes d’idées,
de théories, de techniques, d’affiliation, l’approche du Theravada,
etc. Et nous continuons à nous attacher aux circonstances alors
même que l’enseignement ne parle que de lâcher-prise et de
non-attachement. Voilà pourquoi je vous encourage vraiment à
observer l’attachement.
Faites-vous confiance quand vous êtes dans cette présence
consciente. Au lieu de vous saisir de l’idée qu’il ne faut pas
s’attacher, prenez simplement conscience que votre attachement
est « ainsi ». Quand j’ai commencé à méditer, je m’amusais à
m’attacher aux choses délibérément, juste pour savoir ce que l’on
ressent quand on est attaché au lieu d’avoir une vague idée qu’il
ne faut s’attacher à rien et de toujours désespérément essayer
d’être détaché. Cela aurait d’ailleurs été me tromper moi-même
puisque l’illusion originelle qui générait l’attachement n’avait pas
été comprise. Penser : « Je suis quelqu’un qui est attaché et qui ne
devrait pas l’être » est une forme d’attachement, non ? « Je suis un
moine qui a tous ces attachements, ces complexes, ces obstacles
et je ne devrais pas m’y attacher ; je dois m’en débarrasser, les
lâcher ». Avec ce type d’attachement, on finit toujours par
s’illusionner et par être déçu par soi-même parce qu’on ne peut pas
y arriver de cette manière ; cela ne fonctionne pas. C’est pour cette
raison que je mets l’accent sur ce pur état de conscience. Mais ne
croyez pas que ce soit évident. N’essayez pas de comprendre ce que
c’est ni de trop y réfléchir ; apprenez simplement à le faire. Entrez
en contact avec ce son ou cette vibration qui résonne ; apprenez à y
rester présent le temps de compter jusqu’à cinq ou bien pratiquez
jusqu’à vous y habituer et l’apprécier. Si l’on développe vraiment
cette pratique, elle engendre un état où l’on est conscient sans
être attaché, de sorte que les situations qui apparaissent dans la
conscience peuvent être vues dans la perspective de l’apparition
et de la disparition.
Quand nous lâchons prise et que nous demeurons simplement
dans la pure conscience libre d’attachement, nous faisons
aussi l’expérience de l’amour, de l’amour inconditionné. La
pure conscience accepte tout ; elle ne divise pas et n’a aucune
préférence. Elle accueille tout ce qui se présente : le bon, le
mauvais, les démons... tout ! Alors, quand on commence à lui faire
confiance, la pratique de mettā prend vie. Au lieu de simplement
envoyer de bonnes pensées et des idées altruistes, mettā devient
très concret et très réel.
Qu’entendons-nous par « amour » ? Pour la plupart des gens,
l’amour est l’attachement ultime. Quand on aime quelqu’un, on
veut le posséder. Souvent, ce que l’on prend pour de l’amour,
de nos jours, est un très fort attachement pour une personne,
un objet ou un animal. Mais si on est prêt à appliquer ce mot à
cette faculté d’accueil qu’est la conscience, on obtient mettā,
un amour sans attachement, sans préférences, capable de tout
accepter et de tout inclure. Quand on fait confiance à l’attention,
à cet instant de conscience qui est infini, tout est inclus. À partir
de cette perspective, tout ce qui apparaît dans la conscience est
accepté et accueilli, que ce soit par les sens depuis l’extérieur ou
depuis l’intérieur – les conditions émotionnelles et physiques qui
deviennent conscientes dans cet instant présent. Ce sentiment
d’amour, d’acceptation et de non-jugement englobe tout ce que
vous pensez, ressentez et expérimentez ; il permet à toute chose
d’être ce qu’elle est. Quand nous ne laissons pas les choses être
telles qu’elles sont, c’est parce que nous essayons d’obtenir
quelque chose que nous n’avons pas ou de repousser quelque chose
que nous ne voulons pas. Par conséquent, quand nous parlons de
purifier l’esprit, il faut savoir que la conscience est déjà pure. Elle
n’a pas besoin d’être purifiée ; il n’y a rien à faire.
Vous commencez à cesser de vous identifier en ne vous attachant
pas à l’image conventionnelle que vous avez de vous-même en
tant que cette personne avec ses habitudes, ses spécificités, ce
corps. Ces images commencent à s’effriter ; elles ne reflètent
pas la réalité. En termes de méditation, si vous faites confiance
à l’attention, certaines choses se révèlent à la conscience. Il peut
s’agir de soucis, de ressentiments, de mal-être, de différents types
de souvenirs, de toutes sortes d’idées lumineuses – peu importe.
Dans tous les cas, nous les acceptons, nous les accueillons, nous les
autorisons à être. En termes d’action et de parole, nous passons à
l’action si la suggestion est bonne quand nous le pouvons et nous
n’agissons pas si elle est mauvaise, même si nous acceptons les
deux sans discrimination. Pour moi, c’est cela l’amour, il ne juge
pas. Et cela s’applique tout particulièrement à ce qui apparaît
dans ma propre conscience, mon kamma : émotions, ressentis,
souvenirs qui apparaissent dans l’instant. Derrière tout cela, il y
a le son du silence. C’est comme cet espace immense, vaste, infini
qui permet aux choses d’être ce qu’elles sont parce qu’il inclut
tout. La nature de tous les phénomènes est d’apparaître et de
disparaître, c’est ainsi. Alors, nous n’exigeons pas que les choses
se passent autrement, nous ne nous lamentons pas sous prétexte
que nous voudrions garder les bonnes choses et nous débarrasser
des mauvaises. Notre véritable nature est pure. Lorsque nous
commençons à prendre conscience de cela, que nous l’apprécions
et que nous y mettons toute notre confiance, nous voyons que
c’est réel. Ce n’est pas théorique, abstrait ou juste une idée.
C’est la réalité.
La conscience est très réelle ; ce n’est pas une chose que l’on crée.
En cet instant même, il y a la conscience. Vous êtes conscient,
c’est un fait, c’est ainsi. Il est possible que chacun de nous vive des
choses différentes – l’un peut être joyeux et l’autre triste, perdu,
fatigué, abattu, inquiet pour l’avenir, regrettant le passé, etc. Qui
sait toutes les différentes émotions qui traversent chacun de nous
en ce moment ? Vous seul savez ce qui se passe en vous maintenant
et, quoi que ce soit, bon ou mauvais, que vous le vouliez ou non,
c’est ainsi. Alors, vous pouvez vous relier à ce vécu à travers la
pureté d’« être » au lieu de vous identifier à ce qui est conditionné.
On ne pourra jamais purifier le conditionné ; on ne peut pas
devenir une personne pure ; ce n’est pas là que se trouve la pureté.
Si vous essayez de vous purifier en tant que personne, c’est peine
perdue, comme essayer de polir une brique pour en faire un miroir.
C’est demander l’impossible, ce qui implique que vous échouerez
et serez déçu. C’est dans l’état d’esprit éveillé que se trouve la
pureté originelle. Autrement dit, vous avez toujours été pur ; vous
n’avez jamais, jamais, pas même une seconde, été impur. Même
si vous êtes un tueur en série, le pire démon de l’univers, vous
êtes pur parce que cette pureté est indestructible. Le problème
n’est pas de devenir impur mais de s’attacher à l’illusion que nous
créons dans notre esprit. Le démon est tellement attaché à l’idée
d’être un démon qu’il oublie sa pureté originelle, cette présence
ici et maintenant.
165


11 NE PAS ATTENDRE DE RÉPONSE, NE PAS DEMANDER DE FAVEURS


Autrefois, j’avais horreur de sentir mon esprit embrouillé. J’adorais,
au contraire, être sûr de tout et avoir les idées claires. Chaque fois
que quelque chose créait de la confusion en moi, j’essayais de
trouver une espèce de réponse bien nette pour me libérer de cet
état de confusion émotionnelle. Soit je cherchais à me distraire,
soit j’essayais de trouver quelqu’un qui me donnerait la réponse. Je
voulais une autorité, je voulais qu’un Ajahn, quelqu’un d’important,
vienne me dire : « Voilà ce qui est juste ; voilà ce qui est faux. Ceci
est bien, cela est mal ».” Je voulais que tout soit clair pour moi et
j’avais besoin de quelqu’un, d’une autorité en qui j’avais confiance
et que je respectais, pour me remettre d’aplomb.
On croit parfois qu’un bon maître, une retraite de méditation,
les préceptes, les Refuges ou un merveilleux Sangha vont nous
apporter tout le bonheur du monde et résoudre tous nos problèmes.
Nous cherchons de l’aide à l’extérieur en espérant que ceci ou cela
nous conviendra. C’est comme vouloir que Dieu vienne nous sortir
de nos embarras et ensuite, s’il ne vient pas régler nos soucis, nous
ne croyons plus en lui. « Je lui ai demandé de m’aider et il n’a rien
fait. » C’est une façon puérile de voir la vie. Nous créons des
problèmes et nous comptons sur papa et maman pour venir nous
sortir de là, pour ramasser les morceaux.
Il y a quelques années, je me souviens avoir été très perturbé quand
j’ai appris que l’une de nos nonnes d’origine américaine avait
quitté la Communauté pour rejoindre le Renouveau chrétien. Juste
avant, en parlant d’elle à une autre nonne, j’avais dit : « Elle est
vraiment merveilleuse, si sage, son coeur est si pur. Elle sera une
belle source d’inspiration pour vous. » J’étais vraiment embarrassé
et dans la confusion la plus totale quand j’ai appris la nouvelle.
Je me suis dit : « Mais comment a-t-elle pu être tentée par cette
voie-là ? » Je me souviens avoir demandé à mon maître, Ajahn
Chah : « Comment a-t-elle pu faire cela ? » Il m’a regardé avec un
sourire espiègle et il a répondu : « Peut-être qu’elle a raison ».” Il
m’a obligé à prendre conscience de ce qui se passait en moi. J’étais
sur la défensive, paranoïaque, je voulais une explication claire,
je voulais comprendre, je voulais qu’il me dise qu’elle avait trahi
le bouddhisme. Alors, j’ai commencé à observer ma confusion.
Quand j’ai pu l’accueillir et l’accepter, elle a disparu. En prenant
conscience de la confusion émotionnelle, elle a cessé d’être un
problème ; c’est comme si elle s’était évaporée. Et j’ai pu voir à quel
point j’avais tendance à résister à la confusion mentale.
En méditation, il est facile de voir ces états d’esprit douloureux :
ne pas savoir quoi faire, être dans la confusion par rapport à la
pratique, à nous-mêmes ou à la vie. Notre pratique consiste à ne pas
essayer de nous débarrasser de ces états d’esprit mais simplement
à prendre conscience de ce que nous ressentons : l’incertitude,
l’insécurité, le chagrin, l’angoisse ; la dépression, l’inquiétude,
l’anxiété, la peur, la haine de soi, la culpabilité ou le remords. On
essaiera peut-être de se persuader que, si on était quelqu’un de
normal et de sain, on n’aurait pas toutes ces émotions. Mais l’idée
d’une personne « normale » est un mythe. Connaissez-vous des
personnes vraiment normales ? Moi non.
Le Bouddha, quant à lui, préférait parler de personnes qui écoutent,
qui sont attentives, éveillées et conscientes dans l’instant présent.
Des personnes dont l’esprit est ouvert et réceptif, qui font
confiance à l’instant présent et à elles-mêmes. Voilà comment il
nous encourage. Notre attitude envers la méditation n’a pas besoin
d’être un effort pour nous débarrasser de choses – de nos obstacles
mentaux, nos kilesa et nos défauts – pour devenir meilleurs.
Elle devrait plutôt être une ouverture, une écoute de la vie, une
attention à l’ici et maintenant, et une confiance dans notre capacité
à accueillir la vie comme une expérience. Nous n’avons rien à en
faire. Nous ne sommes pas obligés de redresser tout ce qui ne va
pas, de résoudre tous les problèmes, de tout justifier ou de tout
améliorer. Après tout, il y aura toujours quelque chose qui n’ira pas
quand on vit dans le monde conditionné ; il y aura des problèmes
avec nous, avec les gens qui nous entourent, avec le monastère,
avec le centre de retraite, avec le pays. Les circonstances ne cessent
de changer ; nous ne trouverons jamais une perfection durable. Il
y aura peut-être des moments parfaits où tout sera merveilleux
et juste comme nous le souhaitons, mais les circonstances de ce
moment-là ne pourront pas être maintenues. Nous ne pouvons pas
rester en apnée après l’inspiration ; il faut finir par expirer.
Il en va de même pour toutes les bonnes choses de la vie : les bons
moments, les relations amoureuses, le succès, la chance. Certes,
ces choses-là sont agréables et il ne s’agit pas de les mépriser mais
nous ne pouvons pas investir notre confiance dans des choses qui
sont constamment en train de changer. Une fois qu’elles atteignent
leur sommet, elles ne peuvent qu’aller dans la direction opposée.

On nous demande donc de ne pas prendre refuge dans la fortune,
dans les gens, dans un pays ou dans un système politique, dans les
relations, les belles maisons ou les bons centres de méditation. On
nous demande plutôt de prendre refuge dans notre capacité à nous
éveiller, à faire attention à la vie quelles que soient les conditions
qui se présentent dans l’instant. Le simple fait d’être prêt à voir les
choses telles qu’elles sont – comme des circonstances changeantes
– nous libère du puissant piège de l’attachement et de la lutte
contre les émotions ou les pensées qui apparaissent.
Voyez combien il est difficile d’essayer de résister tout le temps
à ce qui est, d’essayer de vous libérer de mauvaises pensées, d’un
état émotionnel ou d’une douleur. Qu’est-ce qui en résulte ? Quand
j’essaie de me débarrasser de ce que je n’aime pas dans mon esprit,
j’en deviens obsédé. Pas vous ? Pensez à quelqu’un que vous ne
pouvez pas souffrir, quelqu’un qui vous a profondément blessé.
Aussitôt, les circonstances qui nous ont mis en colère et ont créé
du ressentiment contre cette personne obsèdent notre esprit.
Nous en faisons tout un problème et nous le repoussons encore
et encore. Plus nous le repoussons, plus nous en sommes obsédés.
Essayez cela en méditation. Prenez conscience de ce que vous
n’aimez pas, de ce que vous ne voulez pas, de ce que vous détestez
ou qui vous fait peur. Quand vous résistez à ces choses, vous leur
donnez encore plus de force, vous leur donnez une immense
influence et du pouvoir sur votre expérience consciente de la vie.
Par contre, si vous accueillez et vous vous ouvrez au mouvement
naturel de la vie, dans ses bons comme dans ses mauvais aspects,
que se passe-t-il ? Je sais de par ma propre expérience que, lorsque
j’accepte et j’accueille l’expérience conditionnée, les choses n’ont
pas de prise sur moi. Elles arrivent et repartent. On ouvre la
porte et on laisse entrer toute la peur, l’angoisse, l’inquiétude, le
ressentiment, la colère et le chagrin. Mais cela ne veut pas dire
que l’on approuve ou que l’on aime ce qui se passe. On ne porte
pas de jugement de valeur. On accueille simplement tout ce qui se
présente sans essayer de l’éviter, d’y résister et sans non plus s’y
attacher ou s’y identifier. Quand on accepte pleinement une chose
telle qu’elle existe dans l’instant présent, on assiste à la cessation
progressive de tout ce qui est conditionné.
La libération de la souffrance dont le Bouddha a parlé n’est
pas, en soi, une fin de la douleur et du stress. C’est plutôt une
ouverture à un choix : je peux soit être piégé par la douleur qui
m’arrive, m’y attacher et en être submergé, soit l’accueillir et, en
l’acceptant et en la comprenant, éviter d’ajouter de la souffrance à
la douleur existante, aux expériences d’injustice, aux critiques ou
aux souffrances que j’affronte. Même après son éveil, le Bouddha
a subi toutes sortes de choses horribles : son cousin a essayé de
l’assassiner, des gens ont essayé de le piéger, il a été blâmé et
critiqué, et il a souffert de maladies graves. Mais le Bouddha n’a
pas ajouté de souffrance à ces situations. Il n’a jamais réagi avec
colère, ressentiment, haine ou blâme ; il a simplement accueilli les
situations.
Savoir cela m’a vraiment beaucoup aidé. J’ai ainsi appris à ne pas
demander de faveurs à la vie et à ne pas espérer que, si je médite
beaucoup, je peux éviter les situations désagréables.
« Mon Dieu, je suis moine depuis trente-trois ans. Je vous en prie,
récompensez-moi pour avoir été bien sage. » J’ai essayé mais cela
ne fonctionne pas. Accepter la vie sans rien demander à personne
est très libérateur parce que je ne sens plus le besoin de contrôler
ou de manipuler les circonstances pour que tout aille bien pour
moi. Je n’ai plus besoin de m’inquiéter ou d’avoir peur de l’avenir.
Il y a une paix, une absence de peur, qui arrive quand on apprend
à faire confiance, à se détendre, à s’ouvrir à la vie et à analyser
son vécu au lieu d’y résister ou d’en avoir peur. Si vous êtes prêt à
apprendre des souffrances que la vie vous apporte, vous trouverez
la stabilité imperturbable de votre propre esprit.


Adapté d’une conférence donnée en avril 1999 au Centre de
méditation Spirit Rock, Woodacre, Californie.
171


GLOSSAIRE


La plupart des mots de ce glossaire sont en pāli, la langue des
Écritures du bouddhisme Theravada. Il s’agit de brèves traductions
pour une référence rapide plutôt que de définitions complètes et
détaillées.
A
Ajahn (thaï) : Enseignant. Ce mot vient du pāli ācariya. En
Occident, ce mot s’applique à un moine ou une nonne qui a dix ans
d’ancienneté dans la Communauté monastique.
Anattā : Littéralement le « non-soi », c’est-à-dire l’impersonnalité,
sans essence individuelle. Ni une personne ni appartenant à une
personne. C’est l’une des trois caractéristiques des phénomènes
conditionnés.
Anicca : Changeant, impermanent, instable, dont la nature est
d’apparaître puis de disparaître. L’une des trois caractéristiques
des phénomènes conditionnés.
Ārammana : Objets mentaux. Parfois aussi humeur, émotion.
Ariya : Noble.
Asubha : Non beau. Asubha-kammātthāna est une pratique qui
implique la contemplation des différentes parties peu attrayantes
du corps.
Attā : Littéralement le « moi », l’ego, la personnalité.
Attakilamathānuyoga : Auto-mortification, auto-torture.
La Conscience Intuitive
Avijjā: Ignorance, ne pas savoir ce qui est, être dans l’illusion.
Avijjāpaccayā sankhārā : L’ignorance en tant que condition des
formations mentales.
B
Bhāvanā : Méditation ou développement de l’esprit.
Bhikkhu : Moine bouddhiste pleinement ordonné.
Bodhisattva : Littéralement, « celui qui a décidé d’atteindre le
complet éveil ». L’éveil est retardé pour que toutes les vertus
(pāramī) soient développées.
D
Desanā : Un discours sur les enseignements du Bouddha.
Devadūta : Littéralement « messager céleste ». Ils sont au nombre
de quatre : la vieillesse, la maladie, la mort et le renonçant.
Dhamma : L’enseignement du Bouddha tel qu’il apparaît dans
les Écritures, non dogmatique, plutôt comme un radeau ou un
véhicule qui conduit le disciple à la délivrance. Ce mot désigne
aussi la vérité révélée par cet enseignement, ce qui est au-delà des
mots, des concepts et de la compréhension intellectuelle.
Dhamma-Vinaya : Les enseignements et la discipline monastique.
Dhutanga : Les observances particulières du renonçant.
Dukkha : Littéralement « dur à supporter ». Mal-être,
mécontentement, souffrance, angoisse, conflit, insatisfaction. C’est
l’une des trois caractéristiques des phénomènes conditionnés.

H
Hinayāna : Littéralement « le plus petit véhicule ». Terme inventé
par les bouddhistes Mahayana pour désigner un groupe d’écoles
du bouddhisme ancien. C’est l’une des trois principales traditions
bouddhistes. Voir Theravada.
I
Jhāna : Absorptions méditatives. États profonds de béatitude, de
joie et de concentration.
K
Kāmarāgacarita : Personne concupiscente et avide.
Kāmasukhallikānuyoga : Se complaire dans le plaisir des sens.
Kamma : Action ou cause créée par des habitudes de fonctionnement
impulsif, des intentions délibérées. Dans le langage populaire, le
kamma inclut souvent le résultat ou l’effet de l’action bien que le
terme exact pour ceci soit vipāka.
Kamma-vipāka : L’effet ou le résultat du kamma.
Khandha : Groupe, agrégat, tas. Terme employé par le Bouddha
pour se référer à chacun des cinq composants de l’existence
humaine psycho-physique (la forme, les ressentis, les perceptions,
les formations mentales et la conscience sensorielle).
Kilesa : Souillures mentales. Perturbations qui obscurcissent
l’esprit.

Kuti : Hutte. Lieu de vie d’un moine de forêt.
L
Lokavidū : « Celui qui connaît le monde ». Qualificatif du Boudha.
Luang Por (thaï) : Littéralement « vénérable père ». Titre de respect
et d’affection vis-à-vis d’un moine âgé.
M
Mahāyāna : L’une des trois principales traditions bouddhistes.
Elle met un accent particulier sur l’altruisme, la compassion et
la réalisation de la vacuité comme étant essentiels pour l’éveil
complet.
Mettā : « Amitié bienveillante ». L’une des quatre « demeures
divines ».
N
Nibbāna : Littéralement « extinction d’un feu ». Libération des
attachements, apaisement, fraîcheur. Fondement de la vision
éclairée des choses telles qu’elles sont.
P
Pāli : Langue de l’Inde ancienne utilisée dans le Caon Theravada,
proche du sanskrit. Le recueil de textes préservés par l’école du
Theravada et, par extension, la langue dans laquelle ces textes
sont écrits.

Paññā : Sagesse, discernement.
Paramattha-sacca : La vérité ultime.
Pārami : « Perfection » : les dix perfections mentionnées dans le
bouddhisme Theravada pour réaliser l’éveil sont la générosité,
la vertu, le renoncement, la sagesse, l’énergie, la patience,
l’honnêteté, la détermination, la bienveillance et l’équanimité.
Paticcasamuppāda : « Origine interdépendante des phénomènes ».
Ce principe explique la façon dont les phénomènes psycho-
physiques apparaissent.
Patipadā : Littéralement « voie, chemin ». C’est la façon de mettre
les enseignements en pratique.
Pen paccattam (thaï) : Une chose que l’on comprend par soi-même.
Pindapāta : Nourriture offerte aux moines ou tournée pour quêter
la nourriture.
Pūjā : Offrande dévotionnelle
R
Rūpa : Forme ou matière. Les éléments physiques qui constituent
le corps : terre, eau, feu et air (solidité, cohésion, température et
mouvement ou vibration).
S
Sakkāya-ditthi : Croyance en un « moi ».
Sālā : Grande salle où les moines mangent et où se déroulent les
cérémonies.
Samādhi : Concentration méditative.

Samana : Renonçant (désigne les moines ou les nonnes qui ont
reçu l’ordination).
Samsāra-vatta : Le cycle de la naissance et de la mort.
Sangha : La communauté de ceux qui pratiquent la voie du Bouddha.
Plus précisément, ceux qui se sont formellement engagés à mener
la vie de moine ou de nonne renonçant.
Sankhaārā : Formations mentales.
Sañña : Perception.
Sati-paññā : Littéralement « attention et sagesse ».
Sati-sampajañña :
Littéralement « attention et claire compréhension ». Aussi attention intuitive ou aperception.
Sīla : Vertu morale. Mot également utilisé pour se référer aux
préceptes de comportement vertueux.
Sīladharā : « Celle qui maintient la vertu ». Terme utilisé pour
désigner les nonnes bouddhistes ordonnées par Ajahn Sumedho.
Soka-parideva-dukkha-domanassupāyāsā :
Littéralement « tristesse, lamentation, douleur, chagrin et désespoir ».
Sutta : Discours du Bouddha.
T
Theravāda : Littéralement « enseignements des Anciens ». Nom de
la plus ancienne forme des enseignements du Bouddha avec des
textes en pāli. Aussi appelée « l’école du sud » du Sri Lanka et de
l’Asie du Sud-Est.

U
Upāya : Moyens habiles. On utilise différentes ressources pour
comprendre et réaliser les enseignements du Bouddha.
V
Vajrayāna : École bouddhiste qui utilise largement les symboles et
les mantras pour transmettre les enseignements. Principalement
associée au Tibet.
Vedanā : Sentiments ou sensations de plaisir, de douleur ou
neutres.
Vinaya : Discipline monastique ou recueil scriptural des règles et
de leurs commentaires.
Viññāna : Conscience sensorielle, cognition.
Vipassanā : Méditation de la vision intérieure, « regarder au fond
des choses ».
Viveka : Littéralement « détachement » ou « solitude ».
W
Wat (thaï) : Monastère ou temple.
Y
Yāna : Littéralement « véhicule ».
179


Biographie


Ajahn Sumedho est né à Seattle, dans l’état de Washington, aux
États-Unis, en 1934. Après avoir servi dans la US Navy pendant
quatre ans en tant qu’infirmier, il obtient une Licence en études
orientales et une Maîtrise en études du sud asiatique.
En 1966, il pratique la méditation en Thaïlande au monastère Wat
Mahathat de Bangkok. Peu après, il prend des voeux de novice à
Nong Khai puis part méditer en solitaire pendant un an. Il reçoit
lapleine ordination en 1967.
Bien que sa pratique solitaire soit fructueuse, il sent le besoin
d’être guidé par un maître. Le hasard d’une rencontre le conduit
à la province d’Ubon où il pratique avec le Vénérable Ajahn
Chah. Il s’engage auprès de lui et devient son plus proche disciple
occidental. En 1975, Ajahn Sumedho établit Wat Pah Nanachat, un
monastère de forêt international où les Occidentaux peuvent être
accueillis et formés en langue anglaise.
En 1977, il accompagne Ajahn Chah en Angleterre et, à la demande
de celui-ci, il s’installe au Hampstead Vihara de Londres avec
trois autres moines. À partir de là, il établit trois monastères en
Angleterre ainsi que des monastères affiliés dans d’autres pays
d’Europe.
Après avoir été l’abbé du monastère Amaravati, en Angleterre,
pendant une trentaine d’années, Ajahn Sumedho est retourné
vivre, enseigner et pratiquer le Dhamma en Thaïlande.


La Conscience Intuitive
AJAHN SUMEDHO


© 2017 Amaravati Publications
Monastère Amaravati Bouddhiste
St Margarets
Great Gaddesden
Hemel Hempstead
HERTFORDSHIRE HP1 3BZ
WWW.AMARAVATI.ORG
ISBN: 978-1-78432-086-7
ÉDITION NUMÉRIQUE 1.2
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Illustrations intérieures : Ajahn Cittapala
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droits tels que la publicité, la confidentialité ou les droits moraux peuvent
limiter la façon dont vous utilisez le matériel modifié.
... « méditation ». Ce mot peut signifier toutes sortes de choses ;
il peut inclure n’importe quelles pratiques de l’esprit, bonnes
ou mauvaises. Pour ma part, quand j’utilise ce mot, c’est le plus
souvent pour évoquer le fait de se centrer, de se poser et de se
reposer dans le centre. La seule façon d’y parvenir n’est pas en
essayant de réfléchir et d’analyser la meilleure façon de nous y
prendre, mais en ayant confiance dans notre capacité à simple-
ment être attentifs, présents et conscients. C’est tellement sim-
ple et direct que notre esprit compliqué en est tout perturbé.
« De quoi parle-t-il ? Je n’ai jamais vu de point immobile. Je n’ai
jamais rien trouvé d’immobile en moi. Quand je m’assois pour
méditer, il n’y a vraiment rien de posé ».
Pourtant, il y a bien une conscience de cela. Même si vous pen-
sez que vous n’avez jamais rien rencontré d’immobile dans votre
méditation ou que vous êtes dans la confusion la plus totale par
rapport à votre pratique, faites confiance à la conscience même
de cette perception...